seraient ceux d’un ténor de force ; malheureusement la gaucherie de son jeu, compliquée d’une physionomie toute monacale, l’empêchera de se hausser au rang des héros. Inutile de parler du style : voilà un bon jeune homme à peine échappé des bancs de l’école qui déjà se guindé, se manière, et, content de lui-même, imperturbable d’assurance, vous décoche des traits du goût le plus détestable.
Autrefois il y avait à l’Opéra des maîtres dont la surveillance ne s’endormait pas ; ces chefs du chant, — Hérold, Halévy, Gevaërt, — avaient pour tâche de maintenir la tradition et de sauvegarder l’intégrité des chefs-d’œuvre du répertoire ; avec eux, des représentations comme celles auxquelles nous assistons n’eussent jamais été possibles. Aujourd’hui tous les grands services sont désorganisés ; nous venons de voir où en est le chant ; sait-on ce que devient la danse, et quels sujets, quel corps de ballet, représentent cet art charmant, une des gloires de notre Académie dans le passé ? On a la Sangalli, qui figure sur les cadres et qui danse à Vienne en vertu d’incessans trafics dont l’administration bénéficie aux dépens du public, condamné à faire de Coppelia son régal unique. Partout le vide, la routine, et c’est ainsi qu’on se prépare à prendre possession de la nouvelle salle. Chaque jour apporte son contingent de petits bruits destinés à leurrer la badauderie parisienne. Au Palais de l’Industrie, vingt ateliers fonctionnent en permanence sous les yeux d’autant de commissions occupées du matin au soir à s’extasier devant des prodiges de maquettes et des merveilles de décorations ; c’est ensuite la Patti arrivant tout exprès des bains de mer pour venir mesurer de sa voix les conditions locales d’acoustique. On nous entretient aussi des fréquentes visites de M. le ministre des beaux-arts et de sa famille ; mais ce ministre, si curieux de parcourir les moindres recoins de la maison, n’éprouve-t-il pas le besoin d’en connaître un peu d’avance le personnel ? On lui dit : Nous avons la Nilsson, et peut-être s’imagine-t-il naïvement qu’il s’agit là d’un bel et bon engagement de quatre ou six années, bien en forme, bien en règle et digne en tout point d’un théâtre qui coûte à l’état de tels millions. Ne laissons pas ainsi se propager les illusions, éclairons ce ministre abusé ; Mlle Nilsson sera de la fête, rien de plus vrai, mais pour combien de temps ? Nous l’aurons pendant quelques semaines à la représentation, au cachet ; la célèbre Suédoise vient ouvrir l’Opéra, comme on irait ouvrir la chasse, pour repartir le lendemain. Triste chose d’en être réduit à de semblables expédiens, et de voir cette scène qui compte dans le passé de si grands artistes, et dont le répertoire abonde en chefs-d’œuvre, inaugurer l’avenir avec une musique de M. Thomas à laquelle une cantatrice de passage condescend à prêter son gracieux secours ! Quoi, parmi tous ces héros qui figurent sur le fronton du temple, n’y en avait-il donc pas un à choisir de préférence ? Ecartons Meyerbeer tant qu’il vous plaira, oublions qu’il a écrit tous ses