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une impossibilité, et la monarchie constitutionnelle n’étant qu’un mensonge officiel. Mais avec quelle effrayante inconscience les hommes du passé ont préparé tout cela !

Du reste, comme son maître Schopenhauer, M. von Hartmann voit une révélation positive entre toutes de la volonté suprême, dont nous ne sommes que des outils, dans le phénomène de l’amour à tous les degrés. Langue des Marguerite et des Mignon, comme tu vas blasphémer ! Apprenons donc à l’école de l’ancien officier d’artillerie que ni l’amant ni l’amante ne savent ce qu’ils font ni pourquoi ils s’aiment. L’amour le plus idéal n’a pas d’autre conclusion que le plus charnel. La nature a pris soin que les amans se trouvent doucement entraînés vers le seul but qui l’intéresse. Aussi, de tous les pièges tendus par la volonté à la naïveté de ses instrumens consciens, l’amour est-il le plus habile et le plus terrible. Il fait à tout instant la torture et le désespoir de l’homme. On se tue par chagrin d’amour ; a-t-on jamais vu se tuer pour une amitié déçue ? Et lors même que te plus souvent l’amour n’a pas de fin aussi tragique, quelle proportion y a-t-il entre le bonheur fugitif qu’en procure le couronnement normal, et les tourmens qui le précèdent, les déceptions et les soucis qui le suivent ? Pour défier ce démon, il faut être ou très âgé ou, comme M. von Hartmann (nous citons ici ses propres aveux), avoir acquis, avant d’être exposé à ses atteintes, la claire notion de ce qu’il a de ridicule, d’absurde, et s’être pénétré de la conviction bien arrêtée que sur ce terrain-là l’humanité est folle à lier. Voyez donc ces égoïstes qui ne pensent absolument qu’à eux-mêmes, et qui, au prix de leur repos, de leur bien-être, de leur santé, peut-être de leur vie, n’aboutiront qu’à produire les élémens d’une société nouvelle dont eux-mêmes seront exclus ! Toute cette partie du livre de M. von Hartmann est écrite avec une verve endiablée, parfois brutale d’expression comme de pensée, et elle a certainement contribué à son succès de popularité.

En résumé, la nature humaine et la nature extérieure nous imposent la reconnaissance d’un colossal inconscient, qui n’en a pas moins des volontés et des idées fixes, à la réalisation desquelles il marche imperturbablement. Il faut voir maintenant la solution que notre philosophe va donner aux grands problèmes du monde et de l’âme.


III.

C’est au chapitre de la métaphysique proprement dite qu’à notre avis M. von Hartmann se montre le plus faible. En réalité, il est observateur, artiste, humoriste, plus que métaphysicien. Ses admirateurs