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a voulu les moyens et les fins, et qui a su constituer les êtres de telle sorte qu’ils travaillassent, le sachant ou non, à réaliser ses volontés. Ce qu’il y a d’inconscient dans l’instinct de la créature révèle précisément la volonté consciente du créateur. Aussi les adversaires de l’idée théiste ne s’y sont-ils pas mépris. Ils ont nié la finalité dans la nature, et ils ont tâché d’expliquer par des combinaisons fortuites de substances et de forces physico-chimiques d’abord l’organisation des corps vivans, puis les tendances instinctives de la vie animale qu’ils ont déduites de l’organisation. Nous pensons avec M. von Hartmann qu’ils se sont raidis contre l’évidence, et que, si la recherche des causes finales doit être bannie des sciences d’observation en tant que méthode ou explication, la réalité de ces causes, une fois les faits recueillis et classés, s’impose à tout esprit que le parti-pris n’égare pas. Toutefois ses adversaires ont sur lui l’avantage de rester jusqu’au bout fidèles à leur point de vue. Niant l’intelligence et la raison créatrices, ils ne veulent pas en reconnaître les traces dans des êtres étrangers eux-mêmes à la vie rationnelle ; mais commencer par découvrir tant d’esprit, tant d’intention, tant de combinaisons rationnelles dans les choses, et puis reléguer la cause suprême dans la catégorie de l’inconscience, en vérité c’est trop exiger de la ductilité de notre esprit. Notre humble cerveau, qui pèse certainement bien des grammes de moins que celui de Schopenhauer, n’a pas de filets nerveux capables de vibrer à l’unisson de ce colossal paradoxe. Nous le répétons : quand l’inconscience se montre à nous, agissant en vue d’un but défini et usant sans le savoir de moyens judicieux pour y parvenir, nous stipulons nécessairement au-dessus d’elle une direction intelligente et sachant ce qu’elle fait. Qu’il s’agisse d’un organisme, d’un mécanisme, d’une combinaison harmonique quelconque, la conclusion reste toujours la même. La seule différence concerne le mode d’action de la cause supérieure. Jamais une harpe éolienne ne produit rien qui ressemble à une véritable mélodie.

M. von Hartmann objectera peut-être que nous mutilons sa théorie, n nous dira que son dieu inconscient est à la fois volonté et idée, que l’idée en elle-même est logique, bien qu’elle s’ignore, que par conséquent son système rend hommage à la logique immanente qui pénètre l’univers. Nous lui donnons acte volontiers de cette