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par écrit le régime à suivre. Si vous l’observez rigoureusement, il pourra vous préserver. Vous êtes jeune encore ; le mal est lointain, et vous aurez devant vous assez d’années pour espérer de mourir d’autre chose.

Cette consultation porta le dernier coup aux illusions de George. Le doute n’était plus possible. Chaque mot de Trousseau appuyait sur le trait lancé par Vibrac. Mieux eût valu cent fois ne rien savoir et aller au-devant d’un mal inconnu plutôt que de vivre d’inquiétudes et de précautions. Ce fut alors que George éprouva quelque chose approchant du remords et qu’il regretta d’avoir bouté sa main dans la tombe, comme dit le patois des bords de la Garonne. Certainement son aventure était l’œuvre d’un hasard aveugle ; mais c’est toujours aux grands coupables que le hasard réserve de telles surprises, et George n’ignorait pas que les bonnes gens de son pays auraient appelé cela une punition de Dieu.

Bientôt la préoccupation constante de sa santé, l’observation d’un régime sévère et le besoin de s’écouter sans cesse donnèrent au comte de Louvignac l’apparence d’un homme distrait, parfois indifférent ou bizarre, souvent mélancolique. De là ce caractère factice et ces mœurs singulières dont les gens du monde ne pouvaient deviner la cause. Vibrac, devenu vieux et hors d’état de pratiquer, céda sa clientèle et vint s’établir à Paris. George, qui lui savait mauvais gré de sa révélation, le reçut froidement, et ils cessèrent de se voir.


Au mois de septembre 1870, M. de Louvignac se trouvait à son château de Breuilmont. Après le désastre de Sedan et l’investissement de Paris par les armées allemandes, il se rendit à Tours pour se mettre à la disposition du gouvernement de la défense nationale. À la bataille de Coulmiers, il se conduisit bravement et reçut deux balles dans la poitrine en attaquant un régiment bavarois. Transporté le soir à l’ambulance, il y rendit le dernier soupir dans la nuit, et la religieuse qui lui donna des soins l’entendit prononcer ces mots : — Dieu soit loué ! je meurs d’autre chose.

La fortune du comte de Louvignac fut partagée entre plusieurs cousins au second degré. L’écrin, vendu en détail, rapporta une somme d’argent considérable à la succession, et le diamant des Du Bellay, acheté dix-huit mille francs par un jeune fou, appartient aujourd’hui à une de ces aventurières cosmopolites qui font profession de ruiner les fils de famille.


PAUL DE MUSSET.