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distractions d’autant plus précieuses lorsqu’on les rencontre à cinquante milles du pays natal. Ils trouvèrent, en arrivant chez Wilkins vers dix heures du matin, une foule de flâneurs, et purent se mêler à tous les plaisirs de la journée, sauts, luttes, courses à pied, tir, jeux de cartes et de palet, où ils se distinguèrent de façon à mériter l’épithète de bons camarades. C’est le plus grand compliment dans la bouche des gens de frontière. Être un bon camarade, c’est savoir perdre au jeu sans murmurer les fourrures péniblement conquises à la chasse, se montrer toujours prêt à échanger les peaux de ratons contre des boissons variées pour la foule et toucher la cible à deux cents pas de distance du premier coup Au moment où ces joyeux exercices commençaient à perdre de leur charme, la porte de la taverne fut franchie par un homme vêtu de lame grossière l’un de ses souliers à la main, et qui cependant ne ressemblait pas à un simple colon. Il paraissait âgé d’un peu plus de trente ans ; un observateur aurait lu sur son visage d’étranges vicissitudes, toutes les luttes qui peuvent s’engager entre une grande force physique et une certaine faiblesse de caractère, entre les bonnes intentions et les passions mauvaises stimulées par des connaissances plus détestables encore. La foule se pressa autour de l’étranger, qui parlait à chacun aussi familièrement que s’il l’avait toujours connu ! offrant à boire comme le plus sûr moyen de se mettre en bons rapports avec tous. Quand il fallut payer, ce singulier personnage s’acquitta non pas en peaux de bêtes, mais en monnaie d’argent. — Eh bien ! vous savez vous y prendre, lui dit malicieusement Morton. Qu’est-ce que vous venez chercher ;

— Vous m’avez deviné, messieurs, dit l’étranger en affectant le dialecte local pour se rendre plus populaire, je cherche à être nommé shérif aux prochaines élections.

— Et quel est ton nom ? demanda l’un des assistans.

— Marcus Burchard, quand je suis chez moi, à Jenkinsville. Ayant débuté misérablement dans la vie, j’ai si bien pris l’habitude d’aller pieds nus que les souliers me gênent et que j’en porte presque toujours un à la main, comme vous voyez.

Morton promit au nom de l’assemblée de voter pour lui, et le candidat se mit aussitôt à divertir ses amis par une collection choisie d’anecdotes piquantes qui avaient déjà circulé dans toutes les tavernes du comté ; mais rien ne fatigue aussi vite que le désœuvrement, aussi finit-on par en avoir assez, même de l’esprit de M. Burchard, et la soirée s’avançant, quelqu’un proposa d’aller, pour tuer l’ennui, faire tapage au prêche méthodiste qui avait lieu deux milles plus loin. Burchard s’excusa, la place de shérif était disputée chaudement, et les votes méthodistes même ne devaient