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1871, on prenait vivement à partie cette politique d’effacement que M. Gladstone, lord Granville, infligeaient depuis six mois à l’orgueil britannique. On trouvait que c’était assez d’abstentions et d’abandons, que l’Angleterre devait enfin intervenir avec les autres états neutres pour obtenir « une paix modérée, » une paix qui n’aurait point pour effet « de porter atteinte à l’indépendance de la France et de menacer le repos futur de l’Europe. » M. Gladstone se sauvait par des subterfuges, il attendait d’être sollicité, et peu de jours après, dans une dépêche du 25 février, lord Granville faisait cet aveu assez peu digne d’une grande puissance : « je me demandais si un avis amical, que les Allemands ne seraient pas disposés à recevoir, n’affaiblirait pas tel parti qui pourrait se trouver à Versailles en faveur de la modération… »

Oui, au mois de février 1871, l’Angleterre en était à ce degré de crédit et d’influence de ne plus oser exprimer son opinion, « un avis amical, » de peur de froisser l’omnipotence prussienne et d’inquiéter la modération généreuse des Allemands ! Je ne parle pas des autres puissances ni des États-Unis. Les États-Unis n’avaient marqué dans cette guerre que par le rôle assez peu clair de M. Washburne à Paris, par la mission énigmatique du général Burnside, et par des manifestations d’indifférence ou d’hostilité à l’égard de la France. Les diplomates américains ne déguisaient pas leurs sentimens. M. Bancroft, à Berlin, triomphait presque autant que les Allemands, et d’avance battait des mains à la paix qui mutilerait nos frontières. Le vieux M. Bancroft complimentait le roi Guillaume et M. de Bismarck de « rajeunir l’Europe, » et il entrevoyait « l’établissement, pour l’Allemagne unie, du gouvernement le plus libéral du continent. » Au lendemain de l’armistice, le 16 février 1871, le général Grant adressait au congrès de Washington un message qui semblait destiné à célébrer les victoires allemandes sans s’occuper même des vaincus. Leçon cruelle pour les républicains français, toujours pleins d’illusions ! Aux yeux des États-Unis, l’alliée, ce n’était point la république française, c’était l’Allemagne impériale, « nation libre et habituée à se conduire elle-même, » dont les succès devaient avoir « pour résultat de propager les institutions démocratiques et d’augmenter l’influence pacifique des idées américaines ! » Voilà la vérité, de sorte que dans cette crise où la France se débattait, à cette extrémité où elle arrivait, où elle avait à choisir entre la paix et la guerre, l’appoint diplomatique était nul pour elle. La France se retrouvait en face d’elle-même et de l’ennemi, avec ce qui lui restait de forces, avec les dernières ressources de la situation militaire où la surprenait l’armistice.