Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très pressé. N’importe ! le malheureux a peut-être besoin que je prie avec lui, et il n’est jamais trop tard. — Là-dessus M. Donaldson, faisant volte-face, se dirigea vers la taverne en s’efforçant de détourner ses pensées de la polémique qui les absorbait pour trouver quelques mots convenables à la situation d’un criminel que l’on mène au supplice.

— Quoi ! c’est vous, Morton Goodwin ! Est-il croyable que vous soyez tombé si bas ! J’aurais cru que le sort de votre frère aurait été pour vous un avertissement. Quelle fatalité a pu vous amener à couvrir de honte les cheveux blancs ?.. — À ce point du discours de M. Donaldson, de féroces murmures recommencèrent à circuler dans la foule, qui croyait voir le témoin à décharge invoqué par le prisonnier se tourner contre lui et qui comptait sur la quasi-sanction du clergé pour justifier ses actes de violence.

— Arrêtez, monsieur Donaldson, dit Goodwin, s’apercevant de cette fâcheuse erreur. Vous aussi, vous méjugez trop vite. Ces gens-là vont me pendre sans autre preuve contre moi que la beauté de mon cheval. Dites-leur simplement à qui ce cheval appartient.

Le ministre, examinant Dolly, déclara qu’il avait vu le jeune homme monter cette même pouliche depuis près d’un an, et que, si on l’accusait de l’avoir volée, c’était à tort.

— Alors pourquoi n’a-t-il pu dire à qui la bête appartenait ni où il allait ? demanda le vieux colon, qui s’acharnait contre Goodwin plus que les autres.

— Je ne sais. Au fait, pourquoi êtes-vous ici, mon jeune ami ?

Morton raconta naïvement tout ce qui s’était passé depuis le dimanche soir, et en fut quitte pour une semonce du ministre qui fit ressortir l’horreur de manquer du même coup à deux commandemens en jouant et en fréquentant les cabarets le jour du Seigneur.

— Moi, je suis bien aise d’être débarrassé d’une vilaine besogne, dit l’un des juges, tandis que les autres déliaient les bras de Morton. — Le propriétaire de l’établissement avait pris soin de Dolly, espérant que quelque accident la laisserait en sa possession, et le colon riverain s’était emparé du fusil pour se payer de sa peine ; jument et fusil furent restitués avec répugnance, puis la populace se dispersa. Quant à Morton, il ne tarda pas à découvrir un gué plus praticable que celui de la veille et retourna chez son père, comme il l’avait promis à M. Donaldson. Le chemin qu’à cet effet on lui indiqua était direct. Après vingt milles de marche il passa de la solitude dans certaine colonie où était annoncé pour le soir un meeting méthodiste, et sa destinée voulut qu’il entrât tout d’abord dans la maison même où prêchait le fameux Valentin Cook, qui était attendu par les fidèles des défrichemens de l’ouest dans ses tournées apostoliques comme le fut jadis Paul par les premiers chrétiens