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découvert que tout ce qu’on raconte de sa conduite passée soit exact.

— Vous vous trompez. J’ai le plus profond respect pour la sœur Meacham, se hâta de répondre Goodwin, c’est une des meilleures et des plus utiles chrétiennes que je connaisse.

— Tout le monde s’accordait à le penser, répondit malicieusement la vieille sœur, avant que vous ne l’eussiez plantée là.

Cette flèche empoisonnée alla droit au but. Morton pouvait supporter qu’on le blâmât ; mais penser qu’il avait attiré le venin de la calomnie sur une honnête fille lui fut intolérable. Il apprit qu’Anne-Éliza était très malade, et qu’on attribuait son état à des peines de cœur. Ce fut le dernier coup. Sans se laisser le temps de réfléchir, à la fois attendri et ennuyé, il courut chez elle et la trouva en effet au lit avec une mauvaise fièvre, qu’aggravait le désappointement. Sa maigreur, l’altération de ses traits, l’impressionnèrent beaucoup plus que ne l’avait jamais fait sa beauté. Il ne put lui parler d’un amour qu’il se reprochait de ne pas éprouver, mais la malade ne semblait pas très exigeante. Le mot de mariage fut accueilli par elle avec un élan de joie qui déconcerta Morton. Il se dit à part lui que Patty eût répondu à une offre faite en ces termes comme à un outrage. Anne-Éliza manquait décidément de fierté ; mais on ne peut avoir toutes les vertus réunies.

L’incessante activité qu’imposait à Morton sa carrière de prédicateur ambulant ne lui laissa pas du reste le loisir de tenir souvent compagnie à sa fiancée ; ce fut heureux pour tous les deux, car il la trouvait assez nulle en dehors des solennités où elle faisait sensation. La conscience du devoir accompli ne lui était d’aucun soulagement, et sa froideur eût frappé une personne moins indulgente ; mais la sœur Meacham, aveuglée par sa propre passion, se bornait à dire avec complaisance qu’il n’était pas comme les autres. Le spectre de l’ancien amour flottait obstinément entre eux, quoi que pût faire Goodwin et sans qu’Anne-Éliza s’en doutât le moins du monde, le jour où, par une belle matinée d’été, ils s’en allèrent ensemble à cheval, côte à côte comme deux futurs époux, au camp du nouveau Canaan.

Toutes les tentes se disputèrent l’honneur de recevoir la belle inspirée ; quant à Morton, il trouva place dans le lit, plus large transversalement que celui du géant Og, qui était préparé pour une demi-douzaine de prédicateurs. Ce campement mémorable eut lieu sur la rive orientale de la grande rivière Wiaki, six mois après le meeting trimestriel dont nous avons parlé L’usage voulait que tous les prédicateurs du voisinage quittassent leurs circuits respectifs pour venir prêter main-forte à ces revivals. Kike était là comme les autres, mais en passant, car il lui fallait se rendre à un nouveau poste, dont le desservant venait de mourir de la fièvre.