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lettrés turcs fussent condamnés à mort, suivant les prescriptions de la loi ancienne, pour avoir parlé légèrement des prophéties dans un cours public. On s’est contenté de les révoquer de leurs fonctions. Si le chrétien ou giaour n’est plus généralement exposé à des persécutions et à des violences, il n’a pas encore gagné la sympathie, et on le subit plutôt qu’on ne l’accepte. Le Koran reste l’objet d’une vénération à peu près universelle, et l’indifférence religieuse n’est pas en honneur. En temps de ramazan, l’abstinence s’observe avec une rigueur qui nous est inconnue ; nul n’oserait s’en affranchir ostensiblement, et j’ai vu, pendant plusieurs années, un grand nombre d’écoliers suivre leurs classes sans boire ni manger, du matin au soir, pendant ce temps de jeûne. Les missionnaires anglicans, répandus en Asie-Mineure, font des prosélytes parmi les Arméniens, jamais parmi les Turcs. Cette fidélité à l’islamisme se rencontre également en Algérie : si l’on excepte les enfans recueillis en bas âge à Alger pendant la famine de 1866 et élevés dans nos maisons religieuses, on compte dans nos possessions africaines beaucoup moins d’Arabes convertis qu’il n’y a de renégats à Constantinople seulement.

L’armée, qui ne s’élève pas à 300,000 hommes, a été équipée à l’européenne, et n’offre plus l’indiscipline des anciens corps de janissaires ; elle est composée de soldats dont on vante la bravoure et qui sont d’une sobriété remarquable ; mais sa faiblesse numérique et l’insuffisance générale des officiers ne lui permettraient sans doute pas d’opposer une résistance efficace à l’attaque des états voisins. Le gouvernement s’est refusé jusqu’ici à y incorporer les chrétiens, et le service militaire, ne pesant ainsi que sur les Turcs, frappe ceux-ci d’une lourde charge. Que serait-ce si, à l’imitation d’autres nations, la Turquie voulait doubler ou tripler le nombre de ses troupes ? Les ressources actuelles du pays ne suffiraient ni à la formation des cadres, ni à l’entretien des hommes. Les Anglais n’ont pas hésité à enrégimenter les indigènes de leurs colonies, et si les corps mixtes ne leur ont pas donné tout le concours qu’ils en attendaient, ils n’ont eu qu’à s’applaudir de la création de régimens formés par nationalités.

Les sources de la richesse publique se trouvant en partie inexploitées ou épuisées, l’équilibre n’existe plus depuis longtemps entre les recettes et les dépenses. Aussi, à dater de la guerre de Crimée, le déficit s’est-il accru chaque année dans des proportions inquiétantes, et les emprunts successifs sont-ils devenus de plus en plus difficiles et onéreux. Après avoir engagé les revenus les plus assurés, on en est réduit aux expédiens pour faire face aux dépenses urgentes, et on solde les intérêts des sommes reçues à l’aide de