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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/845

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elle n’a fait que peu d’emprunts à nos modes, et le sultan Mahmoud, qui a voulu changer le vêtement des hommes, a respecté celui des femmes. La figure de la femme nubile est voilée ; aucun homme, si ce n’est son mari et ses enfans, ne connaît ses traits ; son nom ne se prononce jamais. Cette situation mystérieuse, bien que dépendante, lui convient, et elle se montre peu favorable à toute idée d’émancipation. Son influence, nulle à l’extérieur, est considérable sur son mari et ses enfans ; j’ai vu fréquemment des pères de famille prétexter l’opposition de la mère pour ne pas donner à leur fils l’instruction qu’ils auraient désirée. On peut citer comme une exception peut-être unique une filature de soie établie à Brousse par un Français qui a exercé longtemps les fonctions de consul, et où une centaine de femmes ou jeunes filles turques sont employées chaque jour. En Algérie, malgré des tentatives multipliées, il n’existe guère qu’un atelier français où des jeunes filles arabes viennent confectionner ou vendre des broderies. Les nations modernes, en développant pour les utiliser l’intelligence et le travail de la femme, se sont placées dans des conditions économiques et morales assurément plus favorables que les sociétés anciennes.

On s’accorde à dire que la dissolution des mœurs est extrême dans les harems ; c’est croyable, bien qu’il soit difficile d’en juger exactement, puisque rien ne transpire au dehors. Un fait remarquable toutefois, c’est que, pendant le séjour des armées européennes en Orient lors de la guerre de Crimée, on ne cite aucune séduction ni aucun scandale dont les femmes turques aient été le sujet. La polygamie, autorisée par le Koran, est entourée de telles obligations pour assurer à chaque femme des ressources propres, qu’elle n’est possible qu’aux riches, et on pourrait compter à Constantinople ceux qui se donnent ce luxe, souvent ruineux. Ce qu’on raconte des prodigalités du sultan Abdul-Medjid pour ses femmes est inouï. Les garçons restent enfermés au harem six ou sept ans, livrés aux soins des femmes esclaves et des eunuques, qui servent la mère en grand nombre. Un pareil milieu est assurément peu propre à développer chez eux la moralité et le goût de l’instruction. Ils sortent ensuite chaque jour pour fréquenter, comme externes, les écoles publiques.

On distingue trois espèces d’écoles : les écoles des quartiers, les ruchdiyés et les écoles des mosquées. Chaque quartier ou mahallé est pourvu d’une petite école, fondée par des legs particuliers, et où l’imam enseigne l’alphabet turc et la lecture du Koran en arabe. Tous les enfans fréquentent ces écoles pendant cinq ou six ans et y paient une modique rétribution. En sortant des écoles des quartiers, à l’âge de dix ou douze ans, ils sont admis comme externes