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au Têlèphe, à la Didon, aux Bacchantes du musée de Naples ; mais c’est la première peinture antique importante qui ait été découverte. De même pour le Sacrifice d’Iphigénie. Les érudits ont beaucoup disserté sur cette peinture, qui est cependant une des plus médiocres de la galerie Bourbon. La facture en est sèche, le dessin défectueux. Il n’y a pas à parler de la couleur, qui parcourt toute la gamme des tons terreux et des tons ternes ; la composition enfin ne se lie pas. À droite, le sacrificateur, tenant un long poignard, attend la victime près de l’autel sur lequel elle doit périr. Au centre, deux jeunes gens portent Iphigénie, qui lève les bras au ciel comme pour implorer l’intervention divine. À la gauche du tableau, Agamemnon s’appuie contre une stèle de marbre qui supporte la statuette de l’Artémis Taurique. Pour ne pas voir l’affreux holocauste, le Roi des rois se détourne et s’enveloppe la tête de son manteau. C’est à cause de cette attitude que les érudits ont tant discuté. Ils ont rappelé que le célèbre peintre grec Timanthe, vainqueur de Parrhasios dans un concours, a peint un Sacrifice d’Iphigénie dont Cicéron, Quintilien et Pline nous ont laissé la description. Timanthe représenta Agamemnon la tête couverte. Il agit ainsi, dit Cicéron, parce qu’il ne pouvait pas surpasser les diverses expressions de douleur qu’il avait déjà données aux autres figures, — selon Pline, parce qu’il ne voulait pas violer la loi de l’art qui défend de montrer un visage en larmes. Or, Agamemnon la tête drapée se voyant aussi dans la peinture du musée de Naples, certains archéologues en ont conclu que cette peinture est une copie du tableau de Timanthe. Quelle puissance et en même temps quelle simplicité d’argumentation ! Il y a pourtant quelques objections à faire. D’une part, Timanthe n’avait voilé le visage d’Agamemnon ni pour ne pas violer la loi esthétique, ni parce qu’il ne pouvait trouver une expression de douleur assez vive. Il l’avait fait tout simplement parce que la tradition antique le voulait ainsi. Le peintre avait lu sans doute ces vers de son contemporain Euripide : « Agamemnon voit Iphigénie s’avancer vers l’autel fatal. Il gémit, il détourne la vue, il verse des larmes, il se couvre la tête de son pallium. » Ainsi il appartenait autant à un décorateur obscur de la Campanie qu’au grand peintre de l’île de Cythmos de se conformer et à la tradition et au dénoûment de la tragédie d’Euripide. D’autre part, à l’époque où cette œuvre fut peinte, vraisemblablement vers le milieu du Ier siècle de l’ère chrétienne, le récit de Cicéron et peut-être même celui de Pline étaient connus. Pourquoi donc un peintre ayant à représenter un sacrifice d’Iphigénie n’eût-il pas eu l’idée de prendre une attitude qui avait si bien réussi à Timanthe ? Mais pour l’honneur de l’art antique on doit se refuser à voir dans cette fresque d’un ordre