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imprimé ; l’estampille ne porte plus guère que des mots et des numéros, à peine quelques restes d’armoiries.

Cette révolution sigillographique est conforme à la marche que suit l’expression de la pensée humaine. À mesure que la société vieillit, que le langage s’assouplit et se perfectionne, notre esprit prend davantage l’habitude des termes abstraits ; il substitue de plus en plus le mot à l’image. Quand l’homme ne savait encore que balbutier quelques interjections, c’était l’image même de l’objet, non le mot qui l’exprime, qui s’offrait à l’œil intérieur de son intelligence, et qui, rapprochée d’autres images, faisait jaillir dans son cerveau l’idée. Les sons qui rappellent ces images ont été les élémens formateurs du langage, et celui-ci en conserve l’ineffaçable trace. La première écriture ne fut également qu’un assemblage de figures plus ou moins grossières des objets de la nature, qu’ont ensuite remplacées des signes qui ont perdu comme les mots leur physionomie représentative et ne sont plus que des abstractions. Quand notre intelligence se fut tellement exercée au maniement des mots, que la langue grammaticale lui devint plus familière et plus commode que les gestes, imitation rapide et fugitive des objets et des actions, que les images mêmes qui les peignent complètement aux yeux, l’usage du symbole, de l’emblème, disparut graduellement. Au lieu de rendre les choses physiques par un dessin plus ou moins succinct, une peinture plus ou moins abrégée, au lieu d’exprimer ce qui n’est de son essence ni tangible, ni optiquement visible, par des figures empruntées à l’ordre matériel, on recourut chaque jour davantage à des mots, à des locutions dont le sens rigoureux et défini se prêtait mieux à la traduction de l’idée. On put alors se passer du symbole, de l’allégorie, de cette métaphore plastique qui transporte une donnée physique à un fait intellectuel ou moral. L’emblème n’eut plus sa raison d’être, parce que les mots dans leur sens propre exprimaient plus fidèlement la réalité que l’image sculptée ou peinte. Ces considérations expliquent ce qu’a d’insolite aujourd’hui l’intervention des représentations figurées comme moyen de rendre la pensée. Sans doute l’art continue d’être cultivé, mais il n’est plus destiné à tenir lieu de l’écriture et même de la parole ; il n’est plus fait que pour charmer les yeux, récréer les sens, embellir nos demeures et nous rappeler les traits de ceux que nous aimons, que nous admirons, et dont nous regrettons la perte, ou ces scènes, ces grands événemens que le ciseau, le pinceau, immortalisent ; il aide au besoin la science en mettant à sa disposition les représentations exactes des êtres animés, des objets qu’il lui importe d’observer et de connaître. Quant aux figures uniquement tracées comme signes, comme expressions d’idées, on ne les demande plus guère à l’artiste.

Dans nos villes, les enseignes sculptées ou peintes des boutiques