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la politique. Il ne se refuse rien, il se plaît aux complications et semble mettre à les rechercher autant de zèle que d’autres en mettent à les éviter. Avec le chancelier allemand, on peut s’attendre à de l’imprévu. Il lui faut du bruit, de l’agitation, des luttes, des ennemis. Que la France ait toujours l’honneur de garder une certaine place dans ses calculs, on s’en douterait un peu à voir le soin avec lequel il veut bien s’occuper de nous, et même à écouter le langage de ceux qui se piquent de l’imiter : témoin le toast récemment porté par le président du conseil de Bade dans une réunion de vétérans allemands, et l’espoir exprimé par cet honnête ministre d’avoir prochainement à « se ruer » de nouveau sur ses ennemis, sous prétexte qu’il serait sans exemple que le vaincu se résignât à sa défaite après une seule campagne ! Que voulez-vous ? Si le monde se sent mal à l’aise, c’est que nous ne sommes pas résignés, et c’est notre faute. La France a beau mesurer ses mouvemens, être tout entière à ses affaires intérieures, à ses élections, à ses discussions sur le septennat, c’est elle évidemment qui est l’éternel trouble-fête, elle n’est point résignée ! Sa tranquillité est une provocation. Heureusement M. de Bismarck a le temps de s’occuper de tout du fond de sa retraite de Varzin. Il s’occupe de la France, du Danemark, de l’Espagne, d’une brochure sur la Révolution par en haut, qui doit paraître à Genève, et quand il n’est point à batailler avec les prêtres, il bataille avec ses ambassadeurs. Le tout-puissant et irascible chancelier a sa façon d’être impartial : il a une prison pour tous ceux qui le gênent, pour M. le comte d’Arnim aussi bien que pour l’archevêque de Cologne, et l’autre jour les juges de Berlin ont fait enlever par délégation sur ses domaines du côté de Stettin l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Paris, qui se trouve aujourd’hui au secret, soumis à une instruction rigoureuse, menacé d’une condamnation. Ce n’est point à coup sûr l’incident le moins curieux, le moins caractéristique des affaires allemandes du moment.

Ainsi voilà un homme d’une des premières familles de Prusse, apparenté jusqu’à la cour, désigné pour les plus hautes fonctions, ayant représenté jusqu’à ces derniers temps son souverain à Rome et à Paris, qui se voit un jour brusquement saisi dans sa demeure et conduit en prison ! Qu’a-t-il fait pour être traité comme un criminel d’état ? C’est ici que commencent toutes les versions, tous les bruits sur un événement qui ne laisse pas d’émouvoir l’Allemagne, qui met dans un jour singulier l’autocratie de M. de Bismarck. Le prétexte de l’arrestation du comte d’Arnim aurait été, à ce qu’il semble, la disparition de certaines pièces de diplomatie, notamment d’un mémorandum que l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Paris aurait adressé au chancelier, que celui-ci aurait renvoyé avec des annotations assez vives, et que l’auteur aurait gardé comme sa propriété. Le comte d’Arnim aurait ainsi entre ses mains, dit-on, des documens qui ne lui appartiendraient pas, qu’il ne