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cette voie étant donnée, tout le monde y a mis certainement la meilleure volonté. Le gouvernement italien, pour sa part, pouvait désirer le rappel du navire français ; mais il n’a rien fait pour hâter le moment décisif par des démarches ou par des communications qui auraient pu être un embarras de plus, et, à vrai dire, il était lui-même dans une situation assez singulière. À son arrivée à Rome, il avait trouvé l’Orénoque dans le port de Civita-Vecchia, et depuis ce moment il n’y avait eu ni notification ni avis d’aucun genre, si bien qu’à la rigueur le cabinet italien était censé ignorer la présence d’un navire qui ne relevait pas de notre légation auprès du roi, qui ne dépendait que de l’ambassadeur de France auprès du saint-siége.

Le fait était certainement irrégulier et peut-être plus embarrassant encore pour nous que pour les Italiens ; il ne s’expliquait que par des considérations intimes que le cabinet de Rome a été le premier à respecter en s’abstenant de toute réclamation. Le ministre des affaires étrangères du roi Victor-Emmanuel n’a peut-être jamais dit un mot à ce sujet. Il a laissé la France choisir son moment, bien sûr que ce moment viendrait, et il l’a lui-même préparé par la délicate et habile prudence d’une diplomatie sympathique dont M. Nigra restait le représentant naturel à Paris. Le gouvernement français de son côté n’en était plus depuis longtemps à méconnaître l’irrégularité et l’inutilité de ce stationnement d’un navire français dans un port italien. Il sentait surtout la nécessité d’en finir depuis que les rapports des deux pays avaient repris un caractère de cordialité complète, et en réalité c’est au mois d’avril dernier que la question s’est posée pour lui ; seulement, c’était sa politique, il désirait procéder avec tous les ménagemens possibles. Il savait bien que dans tous les cas il aurait à essuyer les foudres de ceux qui tenaient à laisser l’Orénoque à Civita-Vecchia comme une protestation contre ce qu’ils appellent encore l’usurpation italienne. Pour ces champions intraitables de la légitimité et du cléricalisme, il était décidé à les braver. Il voulait du moins concilier autant que possible ses propres désirs et les dispositions de ceux qui pouvaient l’aider, qui n’étaient point au premier moment sans s’émouvoir d’une résolution dont ils s’exagéraient l’importance. Tout est bien qui finit bien. M. le duc Decazes a réussi, il est arrivé à pouvoir accomplir un acte utile pour la France, pour notre dignité, pour l’avenir de notre action diplomatique. Il a compris que la bonne volonté de l’Italie pour la sûreté du saint-siége et même pour le séjour du saint-père à Rome était la meilleure garantie. Le gouvernement italien du reste, quand il a été interrogé au dernier moment, n’a point hésité à déclarer que la France restait toujours libre de remplir la mission à laquelle elle attachait du prix. M. le duc Decazes est arrivé à conduire jusqu’au bout une œuvre qui n’était compliquée, il est vrai, que par toutes les considérations dont on a cru devoir tenir compte, et à laquelle en définitive le pape lui-