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donnent à penser ; elles sont même vraies dans leur généralité, et nulle part elles ne sont d’une application plus urgente et plus nécessaire que parmi nous, car c’est essentiellement le préjugé français de croire à l’efficacité des lois, à la vertu des formes de gouvernement, à l’importance des droits politiques, en oubliant sans cesse que c’est le citoyen qu’il faut perfectionner avant les institutions, ou du moins en même temps qu’elles, — qu’il ne sert de rien d’affaiblir la subordination, si l’on n’augmente l’empire sur soi-même. Cependant, quoiqu’on ne puisse qu’approuver la plupart des idées que nous venons de résumer, on peut exprimer un regret, c’est que l’auteur ne fixe pas assez la limite de ces observations, car il est évident que dans sa pensée elles doivent en avoir une. Il combat sans doute des préjugés funestes ; mais les propositions contraires, si elles étaient exposées sans réserve, pourraient aussi devenir des préjugés funestes, et nous conduire à un scepticisme pratique ou une sorte d’abstentionisme non moins dangereux. Sans doute, on ne doit pas trop croire à l’efficacité des lois ; est-ce à dire qu’il ne faut faire aucune loi ? Sans doute, on ne doit pas exagérer la valeur des formes politiques et des institutions ; est-ce à dire qu’il ne faut pas d’institutions ? Sans doute, les choses humaines ont une valeur relative proportionnée à la valeur des hommes ; est-ce à dire qu’il ne faut pas chercher à améliorer ce qui existe, ou tout au moins à empêcher la décadence ? Exagérer l’incertitude des résultats que peuvent produire des mesures mal calculées, n’est-ce pas nous conduire à l’indifférence ? Chacun ne dira-t-il pas : Après moi, le déluge ? Pour nous borner à ce qui regarde les institutions, nous croyons que l’on peut soutenir, contre l’auteur, que les agglomérations d’hommes, prises en général, sont meilleures que les individus, et c’est précisément là-dessus que repose l’idée du corps politique. Si vous observez en effet les assemblées publiques ou électorales, vous verrez que les individus y apportent une vue plus ou moins erronée, mais enfin une vue quelconque d’intérêt général, vue qui n’entre absolument pour rien dans leur conduite particulière et journalière. Les hommes réunis en corps se passionnent pour des idées générales, qui peuvent être absurdes, mais qui n’ont qu’un rapport très éloigné avec leur intérêt personnel. Tel homme qui individuellement mendiera une faveur de la manière la plus basse, et même l’achètera, sera très capable, par intérêt de parti, de voter une mesure générale contre telle ou telle faveur. C’est là ce qu’on peut dire pour défendre les institutions politiques ; elles sont elles-mêmes un moyen d’élever la moralité des citoyens, et, toutes choses égales d’ailleurs, un peuple qui a de telles institutions a des chances d’être supérieur à celui qui ne les a pas. Il