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tendre et les lever deux et trois fois par jour, aux heures où la morue mord le plus à l’hameçon. On est frappé de l’ordre et du confortable qui règnent à bord de ces goélettes. Le poste de l’équipage est d’une propreté parfaite ; chaque homme a sa couchette et peut trouver quelque bien-être aux heures du repos ; l’installation d’un four permet de faire du pain pour la consommation journalière, alors que nos pêcheurs sont condamnés au biscuit pendant des mois entiers. C’est une croyance assez répandue dans nos ports qu’il n’est pas de pêche possible sans l’attirail du moyen âge qu’on trouve à perpétuité sur nos bâtimens, et pourtant les Américains s’en passent ; ils prennent autant, sinon plus de poisson que nous, avec moins de fatigue, et le salaire de leurs marins est plus élevé que le nôtre. Ne faudrait-il pas chercher la cause de cette infériorité qui s’attache non-seulement à l’industrie de la pêche, mais en général à notre commerce maritime, dans l’esprit invétéré de protection réglementaire qui paralyse l’entreprise individuelle, rend la concurrence impossible, arrête le progrès et s’exerce sans profit comme sans intérêt pour la marine militaire ?


II.

Les deux îles Saint-Pierre et Miquelon sont, depuis plus d’un siècle, tout ce qui reste à la France de ses possessions si belles de l’Amérique du Nord. Prises et reprises à diverses époques, elles nous ont été définitivement concédées par les traités de 1815. L’île de Saint-Pierre n’est en réalité qu’un rocher battu par tous les vents, sans végétation, sans culture, enseveli sous la neige pendant l’hiver, et perdu dans la brume pendant une grande partie de l’été. Elle a pourtant son importance en servant à nos pêcheurs de point de ravitaillement. La plus grande étendue de cette île ne dépasse pas 7 kilomètres ; elle présente sur la partie de l’est un port naturel, à peu près garanti des vents du large, où les navires sont à l’abri, sinon en sûreté. C’est là que s’est établie la petite ville de Saint-Pierre. L’île de Miquelon, sa voisine, est plus grande et moins aride ; mais, loin d’offrir un refuge assuré contre le mauvais temps, elle est un dangereux écueil où les naufrages se comptent tous les ans ; on ne voit sur ses côtes que carcasses échouées et débris de navires. Sans phares et sans signaux de brume, elle est à bon droit l’épouvante des marins de toutes les nations, qui l’ont surnommée « le cimetière des bâtimens. » Elle a tout au plus 1,000 habitans vivant du produit de leur pêche. La colonie, dans son ensemble, compte environ 6,000 âmes de population sédentaire. On y vit tristement : les hivers sont interminables et les froids rigoureux. Les grands coups de vent se succèdent à de fré-