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Telle est l’origine de notre droit de pêche, telles sont les bases sur lesquelles il repose ; rien n’est venu jusqu’à ce jour les amoindrir ou les modifier en principe. Les textes des traités n’ont pas cessé d’ailleurs d’être l’objet des interprétations les plus diverses de la part des deux parties intéressées. Nous allons voir renaître et grandir progressivement les difficultés déjà soulevées en 1783 par l’opposition bizarre d’un droit de propriété territoriale et d’un droit d’exploitation étrangère qu’il est permis de considérer comme exclusif dans l’esprit des traités.

Nos armateurs expédient chaque année dans le courant d’avril soixante navires environ, dont les effectifs peuvent être évalués à 3,000 hommes, et qui vont occuper les havres ou les baies de notre côte réservée. Ces havres ou ces baies, suivant leur importance, renferment une ou plusieurs « places de pêche, » plus ou moins estimées en raison de la quantité de poisson qui s’y présente. Les meilleures appartenaient jadis aux premiers arrivans. Les rixes fréquentes et les accidens qu’entraînait cette tolérance ont dû la faire abandonner. Les « places » sont aujourd’hui classées en trois séries, suivant leur valeur, les navires en trois séries correspondantes suivant leur tonnage, et tous les cinq ans le tirage au sort désigne aux armateurs les endroits qu’ils sont tenus de faire occuper, les bâtimens de la même série concourant ensemble pour les « places » de la série qui leur correspond. Les pêcheurs de la côte ouest arrivent les premiers. Ceux qui se rendent dans les baies du nord-est sont fréquemment contrariés à leur atterrissage par la banquise qui s’étend à l’entrée des havres ; quand tout d’abord ils réussissent à vaincre cet obstacle, leurs opérations peuvent être retardées jusqu’aux premiers jours de juin par l’abondance des glaces, qui souvent rend la pêche impossible. Dès qu’un navire est à son poste, il est en partie désarmé ou renvoyé sur les bancs, si la force de son équipage ou les moyens dont il dispose lui permettent ce double emploi. Engins de pêche et chaloupes, vivres et provisions sont mis à terre, et les pêcheurs prennent possession de leur habitation. Autour du hangar ou chaufaud où l’on tranche et sale la morue, en même temps qu’on l’y conserve, se groupent la maison du capitaine, les cabanes où couchent les hommes, les petits magasins de dépôt, et le cajot, sorte de cuve où l’huile de foie de morue s’élabore non sans odeur. Ce ne sont, à vrai dire, que des baraques en bois grossièrement construites, rarement planchéiées, trop souvent mal jointes et mal couvertes ; les pêcheurs dorment là quand ils peuvent et comme ils peuvent. La nourriture varie peu ; elle a pour base le pain et la morue à discrétion, le lard salé dans les grands jours. Comme sur les bancs, l’alcool a sa part, c’est le fonds qui manque le moins. La même baie réunit souvent plusieurs habita-