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l’Angleterre n’y veut voir qu’une obligation pour ses nationaux de ne pas gêner les nôtres ; autrement dit, elle réclame le droit de pêcher sur tous les points du French-Shore que nous n’occupons pas, voire sur ceux que nous occupons, sous condition de ne pas nuire à nos opérations. Voyons quels ont été à plusieurs reprises les efforts tentés pour sortir d’une situation qui semble aujourd’hui sans issue.

En 1844, des négociations s’établissent pour examiner les mesures qu’il serait nécessaire de prendre afin d’assurer aux pêcheurs français et anglais la libre exploitation de leur industrie et d’éviter les collisions qui ne pouvaient manquer de résulter de l’ordre de choses établi à Terre-Neuve. Ces conférences n’aboutissent qu’à une proposition de droit concurrent pour les Anglais sur une partie de notre côte en échange d’un droit analogue pour nos pêcheurs au Labrador et à Belle-Île ; on stipulait en outre en notre faveur la libre exportation de l’appât aux îles Saint-Pierre et Miquelon. Cette affaire n’eut pas de suites. De nouveaux pourparlers ne sont pas plus heureux en 1851. Le gouvernement français proposait alors de restreindre à la seule baie de Saint-George, abandonnée par nos pêcheurs, occupée de fait par les Anglais, ce partage de notre droit exclusif, moyennant des concessions plus importantes que celles dont il avait été précédemment question en 1844. Au mois de mai 1856, M. le capitaine de frégate Pigeard fut chargé de se rendre à Londres pour y discuter auprès du gouvernement britannique les termes d’un nouvel arrangement, et l’on put croire un instant à la solution possible du problème en question. Un projet de convention fut arrêté entre notre représentant et le département des colonies. Il établissait clairement la nature de nos droits sur les points les plus fréquentés par nos pêcheurs en échange d’une concession de droit de pêche commune dans les baies que nous exploitions peu, du fait de l’insuffisance de nos armemens. Au nombre de celles-ci se trouvait la baie de Saint-George, située sur la côte ouest de l’île, que les Anglais considéraient comme l’une des plus importantes de leur territoire au point de vue de la création possible dans l’avenir d’un établissement industriel à Terre-Neuve. Nous devenions en même temps libres de pêcher dans toutes les rivières, à Belle-Île et au Labrador. Cet arrangement avait le bon côté de n’avantager aucune des deux parties, ce qui semblait en garantir l’exécution.

Les ratifications avaient été échangées à Londres le 23 janvier 1857, et les deux gouvernemens semblaient d’accord. Quand on apprit à Saint-Jean de Terre-Neuve la nouvelle de ces préliminaires, des cris séditieux furent proférés contre la reine, le pavillon anglais fut attaché à la queue d’un cheval, qu’on promena dans les rues de la ville, et le gouverneur fut insulté dans sa demeure. Le parlement s’indigna dans une de ses séances et refusa positivement d’adhérer