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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/144

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d’une population, non plus à l’état embryonnaire, mais régulièrement constituée, dont les besoins et les prétentions grandissent tous les jours, pouvons-nous espérer le maintien d’un privilège dont les circonstances ont rendu l’exercice impossible dans la pratique ? Quels que soient les traités, nos pêcheries sont une entrave à la prospérité d’un pays qui vient de sentir sa richesse et s’indigne de n’en pouvoir tirer parti.

Il ne s’agit plus de discuter les textes ; le traité d’Utrecht n’a plus sa raison d’être. En pareille matière, une situation s’impose comme un fait, on ne la ramène pas en arrière. Prétendons-nous, comme en 1859, faire déguerpir les Anglais de la côte ? Rien n’est plus impossible, et l’on n’y peut songer. Pensons-nous enrayer le progrès à Terre-Neuve en paralysant, à force de surveillance, l’action des résidens anglais ? Toute surveillance effective conduit aux mesures de rigueur ; toute mesure de rigueur frappant des sujets étrangers est la source certaine de grandes complications. Il serait d’ailleurs d’autant plus difficile d’entrer dans cet ordre d’idées que les officiers des deux marines se placent pour juger les faits à des points de vue directement opposés, conformément aux instructions contradictoires qu’ils reçoivent de leurs gouvernemens respectifs. Admettons-nous le principe de la pêche concurrente ? Ce serait ruiner du coup notre industrie et perdre les avantages que mettent en nos mains les traités. Si le rachat de nos droits doit être un jour mis en cause, — et c’est là que serait à nos yeux la solution favorable à nos intérêts, — nous devons en principe les conserver dans une intégrité parfaite ; l’impossibilité dans laquelle se trouve placée l’île de Terre-Neuve d’exploiter ses mines à la côte ouest en accroît encore la valeur. Rentrerons-nous dans la voie jusqu’à ce jour impraticable des concessions réciproques ? Ces concessions, comment les définir ? Les prétentions du parlement de Saint-Jean sont les mêmes : on nous demande tout, on ne nous donne rien ! Que ferons-nous donc ? car la situation présente ne saurait se prolonger longtemps. Nul ne pouvait répondre, quand tout à coup on entrevit une chance de voir la question se déplacer à notre avantage par l’entrée de l’île de Terre-Neuve dans la confédération du Dominion.

La création de l’état du Dominion remonte à 1841. Il fut alors constitué par la fédération parlementaire du Haut et du Bas-Canada. En 1867, les deux provinces réunies, qui jouissaient déjà d’une autonomie voisine de l’indépendance, s’incorporaient la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, la province de Manitoba, la Colombie anglaise, et prenaient le nom de Dominion. À la même époque, le parlement de la confédération s’ouvrait à Ottawa, petit bourg canadien devenu capitale, et proclamait l’acte d’union voté par le parlement anglais. En 1873, l’île du Prince-Édouard s’annexait li-