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brement à la nouvelle puissance et venait en augmenter la richesse. Cette concentration de ses possessions de l’Amérique du Nord sous une même administration offrait aux yeux du gouvernement de la reine l’avantage de réunir dans un même faisceau des intérêts jusqu’alors en désaccord et de les garantir contre une agression possible et toujours redoutée des États-Unis ; on espérait aussi paralyser les agissemens d’un parti nombreux au Canada qui manifeste hautement ses sympathies pour l’union. Le Dominion jouit d’un gouvernement qui lui est propre, composé d’un parlement et d’un sénat qui décident souverainement toutes les questions. Partout, sauf à Halifax, les milices ont remplacé les troupes anglaises, les seuls fonctionnaires anglais sont le gouverneur-général et les lieutenans-gouverneurs de chaque état, auxquels il ne reste que l’ombre d’un pouvoir honorifique et que l’on choisit en Angleterre très sympathiques à l’esprit de la colonie. C’est une république fédérale en voie de formation rapide ; le jour n’est pas loin où l’élection d’un président rendra pour toujours le Dominion indépendant de la métropole. Nous retrouvons ici la ligne de conduite adoptée par l’Angleterre à l’égard de ses colonies. Pour les faire riches, elle les fait libres, et les abandonne promptement à leurs ressources administratives et financières.

Nos colonies sont à la fois si coûteuses et si pauvres, alors que plusieurs d’entre elles renferment d’incontestables élémens de richesse, qu’il est superflu de comparer un système qui a doté l’Angleterre de tant de possessions si belles avec une centralisation qui ne permet pas plus de coloniser que de faire vivre une colonie. L’esprit public en France s’inquiète peu de ces établissemens, quelque voisins ou lointains qu’ils soient ; on les confond souvent les uns avec les autres, on semble même ignorer qu’ils existent. Notre sol est si beau, si riche, si divers, qu’il semble devoir éternellement nous suffire, et cependant la société voit grandir dans son sein des appétits plus menaçans de jour en jour ; impuissante à les satisfaire, n’en viendra-t-elle pas à regretter trop tard de n’avoir pas ouvert un champ plus vaste à l’entreprise en favorisant largement le travail et l’esprit d’aventure dans ces pays nouveaux encore, où la terre féconde n’attend que le travailleur ? On a tant douté de nos aptitudes en matière coloniale qu’il est aujourd’hui de rigueur d’admettre qu’elles sont nulles. N’avons-nous donc rien su fonder ? Notre histoire ne garde-t-elle pas la trace éclatante encore des plus belles colonies qu’on ait vues ? Souvenons-nous de l’Inde, des travaux de Dupleix et de La Bourdonnaye, de Bourbon et de l’Ile de France, dont la richesse fut si grande, d’Haïti, la reine des Antilles, qui versait tous les ans dans la métropole 80 millions de revenu, et du Canada, ce beau pays dont l’âme est restée française