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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/157

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traiter Louis XIII de petit-fils d’un grand roi ? L’epigramme a tout son sel quand on connaît les sentimens du compère à l’égard d’Henri IV, et qu’on sait qu’un pareil hommage n’est jamais sorti une autre fois de sa bouche,


II

Ce grand roi qu’il abhorrait, l’a-t-il assassiné ? fut-il, à un degré quelconque, de connivence dans ce crime qui le trouva d’un si beau sang-froid et si alerte à en tirer parti ? — Même en cette rapide esquisse, volontairement limitée aux aspects moraux du personnage, une telle question ne saurait être éludée ; elle s’impose même en première ligne, tant l’innocence ou la culpabilité de d’Épernon sur ce chef pèse d’un poids décisif sur le jugement à porter de son caractère. — Non, quoi qu’en disent Sully, Mézeray, Lenglet-Dufresnoy, Michelet surtout, d’Épernon n’a point armé le bras de Ravaillac ; il n’a pas même eu connaissance du projet de l’atroce fanatique. L’examen du procès démontre jusqu’à la dernière évidence que Ravaillac n’a eu ni complice ni confident. Autre fait non moins péremptoire et à l’abri de toute contestation : c’est la main seule de d’Épernon qui a empêché le garde Saint-Michel de percer l’assassin comme jadis à Saint-Cloud les quarante-cinq avaient massacré Jacques-Clément, dérobant ainsi à la justice le secret du criminel. Un complice n’a point de ces délicatesses-là. — Quant à l’existence, récemment affirmée par un érudit, d’un complot simultané, marchant parallèlement à la pensée de Ravaillac, mais à son insu, et devant par la force des choses aboutir à la même heure, de telle sorte que l’œuvre maudite, à défaut de Ravaillac, eût été accomplie quelques pas plus loin par les sicaires apostés de d’Épernon et de la marquise de Verneuil, — le jour où la moindre preuve sera produite à l’appui d’une assertion aussi étrange, il sera temps de s’y arrêter ; elle reste jusque-là dans le domaine des hypothèses gratuites, j’ajouterai des moins vraisemblables, et l’on peut s’étonner de la rencontrer sous la plume d’un écrivain familiarisé avec les sources[1]. Maintenons à d’Épernon le bénéfice de l’arrêt qui l’a justement mis hors de cause. Innocent en fait, il ne l’est pas moralement ; la loi devait l’absoudre, la conscience s’y refuse. Le sang qui a coulé rue de la Ferronnerie crie contre lui, car ce crime consommé sans sa participation, mais appelé de tous ses vœux, a rempli son âme d’une joie impie. L’occasion tant souhaitée ne l’a pas pris au dépourvu. C’est merveille de voir quelle présence d’esprit il garda dans cette conjoncture tragique, quelles furent la décision de son jugement et la calme célérité de ses actes.

  1. Voyez les Complices de Ravaillac, de M. J. Loiseleur, Paris 1873.