Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il avait été stoïque dans la lutte, autant il montra de raison, de finesse et d’esprit politique dans sa réconciliation moins magnanime encore qu’habile avec les rebelles domptés et avec ce roi énigmatique, subitement devenu d’ami persécuteur, dont les ordres avaient tramé sa perte. Il est avéré d’ailleurs que l’effet fut grand sur les contemporains de cette épreuve miraculeusement soutenue. Il y acquit un renom d’indomptable vigueur, et compta désormais en première ligne aux yeux de tous parmi les hommes capables de grandes choses. Telle était bien en effet l’exacte valeur du personnage. Veut-on savoir à quel rang il s’était placé dans l’opinion par ses prouesses d’Angoulême, L’Estoile nous l’apprendra d’une façon piquante. À deux ou trois reprises durant le siège de Paris, lorsque les affaires de la ligue prenaient d’un jour à l’autre une tournure plus critique, la boiteuse Montpensier, grande inspiratrice, comme on sait, des bulletins officiels qui se publiaient au prône par la bouche des curés (c’était le Moniteur d’alors), ne sut rien imaginer de mieux « comme emplâtre pour les blessures du parti, » dit L’Estoile[1], que de faire courir le bruit de sa mort.

L’hommage a son prix ; mais il en avait reçu un plus significatif au lendemain même du guet-apens dont il s’était si glorieusement tiré. Le Balafré parla publiquement de lui avec louange et admiration[2], et chercha dès lors à gagner à sa cause l’appoint d’un si fier courage. De là des négociations secrètes auxquelles d’Épernon se prêta, non, je le pense, par ressentiment de la trahison de son maître, ni en prévision de sa ruine imminente (toutes les chances semblaient pour Guise dans cette phase suprême de son duel contre Henri III), mais par une feinte destinée à mieux servir les intérêts de ce maître délaissé de tous. Qu’on ne se récrie point contre l’interprétation favorable d’un incident aux apparences si équivoques : elle s’appuie, solidement à mon avis, sur deux sortes de preuves, preuves de fait, preuves de l’ordre moral.

Et d’abord d’Épernon s’était réconcilié avec Henri III. Pourquoi le faire, si son ressentiment avait soif de vengeance ? Dans une lettre, chef-d’œuvre de tact et de dignité, n’imputant qu’aux machinations de ses ennemis et à la supercherie de Villeroy l’ordre royal qui avait failli lui coûter la vie, il avait eu soin de ne pas mettre en doute la continuation des bonnes grâces de son bienfaiteur. Pourquoi, s’il méditait une défection, s’ôter à lui-même le seul prétexte qui pouvait en pallier la honte ? — En second lieu, au moment même où il feignait de prêter l’oreille aux propositions de Guise, il faisait brusquement remplacer Villeroy comme secrétaire d’état par

  1. Journal d’Henri IV, t. XLVI, p. 156 et 266.
  2. Palma-Cayet, Chronique novenaire, édit. Petitot, t. XXXVIII, p. 415.