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un homme à lui, Révol, inconnu à la cour, sans autre recommandation que la sienne, qu’il avait ramené de son voyage de Provence, aussi peu porté vers la ligue que l’était au contraire son prédécesseur le petit coquin, homme de talent au surplus et d’un noble caractère. N’y a-t-il pas là la preuve d’un secret accord plus intime que jamais entre lui et son maître ? Enfin comment expliquer autrement que par ce même accord les avis qu’il lui fit parvenir sur les projets de plus en plus menaçans du Lorrain, avis qui triomphèrent en décembre des dernières hésitations du roi ?

D’ailleurs, et j’en viens aux preuves morales, la magnanimité d’une franche réconciliation de la part de d’Épernon n’a rien d’incompatible avec ce que nous savons de l’orgueilleux personnage. Sa conduite avec Marie de Médicis témoigne qu’il savait pardonner à ses maîtres ; rien en revanche n’autorise à le croire capable d’une perfidie. Son histoire n’en fournit pas un seul exemple. Il n’a jamais trahi une amitié ; la sûreté de sa parole était même proverbiale à la cour. La bassesse n’est point dans sa nature. Quant à déserter une cause parce que tous la jugeaient perdue, il était de ces superbes qui prennent volontiers pour devise le victrix causa diis, opiniâtre de plus, et, une fois engagé sous un drapeau, ne se laissait pas aisément rebuter par les difficultés et les périls : la lutte était un des instincts de son tempérament. — Avant tout, une clairvoyante appréciation de ses intérêts distingue au plus haut degré ce ferme esprit. Or comment, dans son exil d’Angoulême, aurait-il pu oublier que sa disgrâce et celle de son frère Bernard avaient été les premières satisfactions exigées du roi par la ligue victorieuse aux barricades ? Comment s’abuser sur la haine violente, outrée, qu’il inspirait au parti lorrain, et qui était en quelque sorte un de ses dogmes ? Les plus acharnés contre sa vie dans la sédition d’Angoulême n’étaient-ils pas des ligueurs, Méré entre autres, un des affidés du Balafré ? Devait-il croire à la possibilité d’un rapprochement de bonne foi entre les Guises et lui, créature insigne de ce roi qu’ils voulaient déposer, vivant témoignage de la plus exploitée de ses fautes, archi-mignon, comme parle L’Estoile, dénoncé par surcroît au fanatisme religieux comme partisan du roi de Navarre et fauteur d’hérésie ? Remarquez que l’accusation n’était calomnieuse qu’à moitié. Entaché d’hérésie, il ne le fut à aucune époque, et le catholicisme peut au contraire revendiquer en lui un adhérent des plus orthodoxes, voire des plus intolérans. Quant à ses liaisons avec le Béarnais, notoires depuis douze ans, hautement avouées par lui depuis la mort du duc d’Anjou en tant qu’hommages rendus à l’héritier légitime de la couronne, elles avaient, à la date précisément des pourparlers entamés par Guise, un caractère d’apparente intimité. On peut s’en convaincre par divers billets adressés à