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et réserva au compagnon des anciens jours les traits les plus gracieux de l’enjouement et de la familiarité, comme si, en matière d’état aussi bien qu’en fait de relations privées, il le tenait pour son égal. Un prince du sang n’eût pas été entouré de plus d’honneurs, un ami de prédilection festoyé plus cordialement. Marguerite elle-même, si ulcérée qu’elle fût contre le mignon, auteur peut-être[1] du sanglant affront qui l’avait naguère bannie du Louvre, se contraignit jusqu’à paraître et à faire accueil à cet hôte d’importance[2].

Il est avéré que le mariage de la princesse Catherine, sœur d’Henri, avec d’Épernon, fut mis en avant comme moyen de cimenter l’alliance politique qui venait de se conclure entre eux ; mais d’où vint la proposition ? Question délicate. A en croire Sully, ce fut de la part de d’Épernon « par tierces personnes interposées, » et grande aurait été l’indignation de Navarre devant une semblable outrecuidance. Dix ans plus tard, Henri IV l’avait encore sur le cœur et faisait figurer ce grief au premier rang des motifs de son animosité contre d’Épernon. Telle est la version des OEconomies[3]. Je la considère comme une invention pure. Girard, qui ne dit pas toujours vrai, mais qui a sur beaucoup de panégyristes l’avantage de ne pas mentir de son chef et de transmettre sur presque tous les cas la version même de son héros, déclare formellement que la main de la princesse lui fut offerte. Toutes les vraisemblances sont de ce côté. Entre d’Épernon et Navarre, le plus intéressé des deux à resserrer étroitement les liens de la solidarité d’action, c’était incontestablement Navarre. Sans d’Épernon, que devenait sa cause dans l’esprit mobile et capricieux d’Henri III ? Quel autre appui avait-il au conseil, quelle autre influence pour déjouer les mesures de ses adversaires, si formidables en nombre et en audace, si acharnés, si déloyaux, et qui venaient de recruter dans la branche même dont il était le chef des opposans à ses droits en la personne du cardinal de Bourbon son oncle et de son cousin le cardinal de Vendôme ? Dans l’état de l’opinion publique, pleine d’hésitations et d’incertitudes sur la légitimité des prétentions en présence, une déclaration sortie de la bouche du roi, malgré le discrédit où il était tombé, pouvait peser d’un grand poids. Il était capital pour Navarre de ne pas l’avoir contre lui. Comment en être assuré sans l’active et incessante intervention du favori, qui primait déjà visiblement Joyeuse et possédait à peu près sans partage la confiance de son maître ? — Dira-t-on qu’une alliance avec les Nogaret devait révolter le descendant de saint Louis ? mais, roi de France, à plus forte

  1. Busbecq, lettre du 27 août 1383.
  2. Brantôme, édit. Foucault, t. V, p. 178.
  3. OEconomies, édit. Petitot, t. II, p. 345, 346, 347, 348.