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mesure au crédit dont il jouit. Les princes menacent-ils de renverser cette débile régence ? D’Épernon est au pinacle. La coalition est-elle dissoute, non par la force, comme il le voulait, mais à beaux deniers comptans, et Marie se croit-elle assurée d’un bail de quelques mois de repos ? Elle dissimule mal à quel point lui est à charge l’impérieuse protection qu’elle a sollicitée. Lui alors de se retirer sous sa tente jusqu’à l’heure, qui ne tarde guère, où les embarras renaissans de la situation contraignent de nouveau à recourir à son énergie. Ce qui est plus honorable encore que d’avoir été la ressource des jours de danger, c’est la fidélité et le désintéressement de ces services, toujours invoqués dans le besoin, invariablement payés d’ingratitude. Fidélité, désintéressement, on n’emploie pas sans surprise des mots semblables à propos de d’Épernon : ils n’expriment pourtant que la vérité stricte. Sauf peut-être une satisfaction de vanité comme la charge de premier gentilhomme de la chambre qu’il réclama pour son fils aîné Caudale, d’Épernon mit son orgueil à ne point tirer profit de ces appels à son dévoûment, à y répondre sur-le-champ et sans condition[1], à ne jamais s’avilir jusqu’à faire de son appui l’objet d’un marché. Quel contraste avec les autres seigneurs ! Au milieu de ce dédale inextricable d’intrigues où chacun rivalise de mauvaise foi cynique, où l’esprit se perd à vouloir suivre les évolutions de Bouillon, Guise, Mayenne, Longueville, Soissons, de Condé surtout, le dernier mot de l’abjection morale, adversaires d’hier, alliés d’aujourd’hui, qui se trahissent à l’envi, se vendent sans vergogne au plus offrant de la cour ou de la cabale, et se font également payer par la reine pour lui avoir fait la guerre ou pour l’avoir servie, — il arrive à d’Épernon cette fortune imprévue d’être seul à représenter la prud’homie de la noblesse française. Il est seul à garder inviolablement son serment à la régente, seul aussi à ne pas stipuler d’avance le prix de sa fidélité. Ajoutez qu’après coup il ne le reçoit pas davantage.

Le contraste ne frappe pas moins entre sa conduite et celle de ses pairs envers l’homme qui fut en réalité le maître unique des volontés de Marie de Médicis, de la mort d’Henri IV au coup de pistolet de Vitry. Princes et grands, chacun s’est agenouillé à son tour devant Concini, sauf à comploter son renversement. Le seul qui n’ait eu pour l’aventurier que des mépris publics et n’ait répondu à ses avances que par de mortifiantes rebuffades, c’est encore d’Épernon. Il n’ignorait pas cependant qu’avec Concini et la Galigaï pour ennemis, il n’avait à espérer de la régente qu’un vain semblant de pouvoir limité à la durée des périls, et, comme il en fit dix fois l’expérience, que la sécurité rentrée au Louvre coupait court à son

  1. Bassompierre, édit. Petitot, t. XX, p. 9 à 12.