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pour sa fidélité au devoir militaire, l’autre par une représaille de faction, pour avoir flétri pendant le siège l’indiscipline et les désertions de certains bataillons plus révolutionnaires que patriotes. Au moment où s’accomplissait cette lugubre tragédie de Montmartre, à une autre extrémité de la ville, le général Chanzy, arrivant de Bordeaux, se voyait saisi au chemin de fer, conduit à la mairie la plus voisine, puis traîné de prison en prison et menacé, lui aussi, d’être fusillé. Ce n’est que quelques jours après qu’il put s’échapper avec la complicité d’un des séides de la commune.

Partout éclataient les mêmes scènes, de sorte que le 18 mars au soir, Paris, ignorant de son propre sort, se trouvait au pouvoir d’une sédition qui s’inaugurait par le meurtre et par les violences, dont les chefs, inconnus jusque-là, transportaient leur autorité de hasard à l’Hôtel de Ville, à l’état-major de la place Vendôme, dans les administrations publiques, tandis que tout ce qui avait pu être ramassé de l’armée s’acheminait dans la nuit assez tristement, confusément, sur Versailles.


II

Elle a donc triomphé ou elle semble avoir triomphé, cette insurrection préparée depuis six mois, vainement tentée pendant le siège, victorieuse par un ensemble de circonstances uniques qui, en facilitant son succès et en doublant sa force, la rendent mille fois plus criminelle, puisqu’elle est un acte de guerre civile devant l’ennemi. Est-ce vraiment déjà la guerre civile déclarée, fatale, irrémédiable ? Paris, réveillé de sa surprise, placé entre la France qui l’appelle de Versailles et l’étranger qui l’observe dédaigneusement de Saint-Denis, Paris ne va-t-il pas rejeter d’un mouvement spontané ce pouvoir d’aventure qui le menace de l’humiliation et de la ruine ?

Pendant quelques jours, pendant deux semaines, la question semble indécise, ou du moins les hostilités sont en suspens ; entre Versailles et Paris tout n’est pas rompu, et peut-être reste-t-il encore un dernier espoir. C’est le moment où l’amiral Saisset, popularisé par ses services pendant le siège, est envoyé pour essayer de rallier les forces incohérentes de la garde nationale, où les maires cherchent à rétablir la paix par des négociations, par des transactions de circonstance. Efforts inutiles ! l’amiral Saisset, réduit à camper entre la gare Saint-Lazare et la Bourse, ne rallie que des forces insuffisantes. Les maires ne réussissent qu’à signer de vains compromis. Le 22 mars, une manifestation en faveur de la paix et de l’assemblée nationale est reçue à coups de fusil sur la place Vendôme par les nouveaux maîtres de Paris. Le 26, le comité