Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un jour, malgré sa facilité à tout entendre, il finissait par demander à la commission quarante-huit heures de congé. Du coup, la commission se trouva un peu blessée. Agir avec vigueur, ne pas abandonner entièrement Paris, garder au moins quelques portes et attaquer au plus tôt, on en revenait toujours là. « Oui, disait M. Thiers, si vous pouvez limiter l’action, vous pouvez attaquer, mais il n’est pas possible de la limiter. Un point saisi déterminera une attaque ou entraînera la nécessité d’occuper un autre point, et l’action générale s’ensuivra. C’est jouer le tout pour le tout, alors il faut être sûr du succès. Si on reste en chemin, ce sera un véritable désastre, une débandade… Ah ! si l’on pouvait attendre quinze jours ! .. Non, non, pas quinze jours, ajoutait-il en se reprenant, quelques jours seulement ; avec une bonne organisation de troupes, on serait sûr du succès ! .. » A chaque instant se reproduisaient ces luttes intimes ou ces froissemens qu’on menaçait parfois de porter devant l’assemblée et qui n’auraient été qu’une occasion de crise ; mais ces conflits, si pénibles, si gênans qu’ils fussent, se passaient encore en famille, ils s’éteignaient dans un silence patriotiquement gardé. Il y avait la difficulté bien autrement terrible, bien autrement menaçante de la présence et du rôle de l’étranger au milieu des convulsions de la France.

L’insurrection de Paris, et c’est là ce qui en faisait un véritable crime, un acte honteux de trahison nationale, cette insurrection ne pouvait que donner des armes à l’étranger, alourdir l’occupation et la paix, retarder le rétablissement de cette France que M. Thiers appelait, avec une piété patriotique, la grande blessée. Le fait est que par le 18 mars tout se trouvait arrêté, la négociation de la paix définitive aussi bien que le rapatriement des prisonniers, — que les Allemands suspendaient leur mouvement de retraite, qu’ils redoublaient d’irritation et d’exigence dans les pays envahis, et qu’ils prenaient même une attitude assez énigmatique pour qu’on pût se demander ce que signifiait une certaine affectation de neutralité entre Versailles et Paris. Un général prussien, s’adressant au commandant « actuel » de Paris, parlait de « l’attitude amicale et passive » qu’il avait ordre de garder vis-à-vis de l’insurrection. C’était, je pense bien, une exagération d’humeur soupçonneuse de supposer que M. de Bismarck pût avoir la main dans ces événemens ; il n’y était pas intéressé.

M. de Bismarck, qui, en vrai victorieux, ne se refuse aucune liberté, et qui avait fait un jour à M. Jules Favre la confidence qu’il était républicain, M. de Bismarck pouvait bien se passer la fantaisie de dire en plein Reichstag, à Berlin, qu’il y avait dans la commune parisienne « un noyau de raison, » que ce noyau de raison était « le vœu d’une organisation municipale comme celle qui existe en