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à tous, à l’opinion, peut-être refroidie ou aigrie par les revers, l’exemple d’une chaleureuse confiance. M. Thiers avait le mérite d’aimer l’armée pour elle-même et de comprendre que la meilleure manière de refaire cette armée était de relever les chefs en entourant les soldats d’une constante sollicitude[1]. Œuvre patriotique et prévoyante, qu’on a pu oublier depuis qu’il est admis que tout était facile en ce temps-là, mais qui reste l’honneur d’un homme appelé en si peu de jours, au milieu des plus inextricables difficultés, à dégager la France des étreintes de la guerre étrangère et des horreurs de la guerre civile !


III

On disait quelquefois à M. Thiers, tout occupé de ce travail et résistant aux pressions qui le poussaient prématurément à l’attaque : « Pendant que vous vous organisez, les insurgés s’organisent aussi. — Oui, répliquait le chef du pouvoir exécutif, mais ils se rendent odieux à la population par les moyens qu’ils emploient, tandis que nous, en nous préparant, nous répondons au vœu du pays, nous gagnons plus qu’ils ne gagnent ; ils finiront par des actes qui soulèveront l’indignation générale. Dans tous les cas, on ne peut tenter d’enlever une place aussi forte que Paris sans avoir les moyens nécessaires pour réussir. » C’était le résumé de la situation et de la politique de M. Thiers.

Il est vrai, les insurgés s’organisaient ou du moins essayaient de s’organiser comme si Paris étaient définitivement leur domaine ; mais en même temps ils laissaient éclater leur impuissance politique et militaire. Qu’était-ce que cette commune, qui avait la prétention burlesque de représenter et de défendre Paris en le dominant ? C’était une dictature de subalternes, de déclassés et de pamphlétaires, dictature ridicule si elle n’eût été sinistre, déjà dévorée en

  1. Dans ces jours troublés, M. Thiers prononçait à la tribune ces paroles, que l’armée ne devrait jamais oublier, non-seulement parce qu’elles sont d’une sincérité émouvante, mais parce qu’elles émanent d’un homme qui, n’ayant rien à lui demander, ni dévoûment personnel ni concours intéressé, ne peut l’aimer que pour elle-même, par un sentiment tout patriotique, « Ils trouvaient en moi, disait-il, un ami invariable de l’armée, un homme qui aime le soldat comme on aime son propre enfant. Oui, quand je vois ces fils de nos champs, étrangers à nos passions, étrangers souvent à cette instruction qui relève le patriotisme, quand je les vois songeant uniquement à l’honneur militaire qu’on a fait entrer dans leurs cœurs, mourir pour vous, pour nous, pour le pays, je suis touché profondément et j’éprouve un besoin indicible de les environner de toute ma sollicitude… » Prononcées à ce moment, au sortir d’une crise qui avait laissé de la tristesse et de la défiance, ces paroles, j’ose le dire, ressemblaient à une délicatesse de plus en même temps qu’elles étaient d’un chef d’état préoccupé de relever toutes les forces du pays.