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qui résultent de cette solution de la continuité historique, on a imaginé de recourir à l’étude comparée des mœurs des peuplades sauvages, lesquelles selon toute vraisemblance sont encore très près de leurs origines. Là se reflète sans doute, comme dans un miroir déjà un peu terne, la société humaine des premiers âges. D’abondans matériaux pour une pareille étude se trouvent entassés dans les relations publiées par une foule de voyageurs. Plus d’une fois on a essayé de coordonner ces matériaux épars et d’en faire jaillir la lumière par une discussion approfondie ; l’une des tentatives les plus récentes est celle qui a été faite par sir John Lubbock dans son livre sur les Origines de la civilisation, que M. E. Barbier vient de traduire en français. M. Lubbock établit les rapprochemens les plus imprévus entre les sauvages des temps modernes et les peuples barbares de l’antiquité ; des analogies manifestes lui permettent d’expliquer certaines coutumes qui ont survécu dans nos sociétés et qui ne sont que des symboles d’anciens usages complètement oubliés, de rendre compte de quelques idées qui sont restées empreintes dans la conscience humaine, comme des fossiles ont marqué leur trace dans le roc. Nous ne le suivrons pas dans toutes les parties de son vaste sujet, nous nous contenterons d’exposer les résultats de ses recherches qui concernent les origines de la famille et les formes primitives du mariage. C’est là en même temps le sujet d’un livre curieux, nourri de faits et rempli d’aperçus ingénieux, que vient de publier M. A. Giraud-Teulon. Déjà en 1861 un savant jurisconsulte de Bâle, M. Bachofen, avait défriché le terrain et accumulé d’immenses matériaux dans son ouvrage sur le Droit de la Mère, et quatre ans plus tard un auteur écossais, M. Mac-Lennan, dans une monographie intitulée le Mariage primitif, avait traité les mêmes questions avec un esprit critique appuyé sur une vaste érudition. Enfin en 1868 et en 1871 les études de M. Morgan sur les Systèmes de consanguinité étaient venues fournir une base solide à ces sortes de recherches en établissant les phases embryonnaires de la famille chez une foule de peuplades sauvages. Ces travaux tout récens, bien qu’ils soient loin de s’accorder sur tous les points, et surtout loin d’être à l’abri d’objections sérieuses, peuvent cependant servir à nous guider dans un labyrinthe de faits où la lumière commence seulement à pénétrer par échappées.

La conclusion à laquelle s’arrêtent ces auteurs, c’est que les diverses formes du mariage ne se sont développées que graduellement, que la promiscuité, le libre mélange des sexes, la communauté des enfans et des femmes, étaient la loi des premières sociétés. Chez quelques peuplades, un pareil état social paraît encore exister de nos jours, mais ce sont surtout des preuves indirectes qu’ils apportent en faveur de leur thèse. L’une des plus fortes repose sur la terminologie par laquelle les sauvages expriment les divers degrés de parenté, terminologie bizarre et confuse où rien ne répond exactement à nos mots fils, fille, épouse,