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LES ORIGINES DE LA FAMILLE.

I. Sir John Lubbock, Origin of civilisation (trad. par M. E. Barbier, 1873). II. A. Giraud-Teulon, les Origines de la famille, 1874.


S’il est des pays, comme l’Inde, où les lois semblent avoir dicté les mœurs et façonné la société, la plupart du temps ce sont les mœurs qui dictent les lois, et le législateur ne fait que sanctionner d’anciennes coutumes. Les courans d’idées philosophiques et religieuses qui viennent périodiquement envahir le monde modifient profondément ce qu’on appelle le génie des peuples, les mœurs changent, les codes se réforment. Les races si diverses qui habitent le globe composent aujourd’hui comme une mosaïque morale, produit complexe des climats, des migrations, des conquêtes, des religions qui se partagent le genre humain. Des mœurs polies confinent à la barbarie primitive, le raffinement côtoie la brutalité. On peut se demander si tout cela dérive d’un fonds commun, s’il est permis de parler de mœurs primordiales dont les différentes races se seraient plus ou moins écartées avec le temps. C’est là une des questions que se proposent de résoudre les recherches de paléontologie sociale, qui sont un des signes de la tendance critique de notre époque.

Ces recherches nous éclairent et nous troublent à la fois. Peut-on a priori affirmer que telle chose est conforme à la nature humaine, telle autre contre nature ? A y regarder de près, on trouve qu’elles ne sont que conformes ou contraires à un ensemble d’idées convenues qui nous ont été transmises par l’éducation, qui n’avaient pas cours à une autre époque, qui ne sont point acceptées dans un autre milieu. A tous les rêves de l’imagination répondent des réalités : l’homme est un être qui construit son existence à l’image de ses conceptions, être flexible qui se plie et s’assouplit à tous les changemens que subissent ses idées. Des formes de la vie que l’on croyait des utopies irréalisables ont existé, existent peut-être encore en quelque coin ignoré du monde. Comment définir ce qui est naturel à l’homme ? et comment soutenir que ses penchans primitifs soient les bons ? Ne faut-il pas au contraire bien souvent nous féliciter que la civilisation nous en éloigne, ou constater avec effroi que telles tendances qui cherchent à se faire jour et prétendent représenter le progrès ne sont qu’un retour déguisé vers l’état sauvage, une sorte d’atavisme moral ?

La méthode de la paléontologie appliquée aux sciences morales a fourni d’étonnans résultats. Malheureusement le passé de notre race est enseveli sous les décombres accumulés par le temps ; la civilisation actuelle marche sur les couches fossiles des antiques sociétés, couches aussi silencieuses que les strates géologiques. Pour combler les lacunes