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l’alliance nationale des catholiques et des libéraux. De Potter y exigea une place, et on n’osa la lui refuser, bien qu’il apportât de son exil des théories politiques et des goûts révolutionnaires qui ne pouvaient plaire à de véritables hommes d’état. Le jour de son arrivée, il harangua le peuple d’un ton qui effraya M. Plaisant, chargé de la sûreté publique. Ce fonctionnaire se rendit au siège du gouvernement ; à l’entendre, de Potter allait s’installer au palais royal et être proclamé dictateur. Van de Weyer, qui connaissait bien son ancien client, dit à M. Plaisant : « Avez-vous un appartement disponible chez vous ? — Oui, tout mon second. — Retournez auprès de lui. Offrez-lui votre second. Il acceptera. Il n’y a pas de dictateur au second étage. » Van de Weyer trouva toute sa vie de ces mots, qui n’étaient pas seulement spirituels, qui étaient des flèches lancées par un rare bon sens.

Le roi Guillaume, après avoir usé mal à propos de la force, tenta aussi vainement la conciliation. Il envoya le prince d’Orange à Anvers ; celui-ci, qui se souvenait de ses dernières conversations avec van de Weyer, lui dépêcha un aide-de-camp et l’invita à venir conférer avec lui. Van de Weyer fut un moment tenté d’accepter. « Le prince, demanda-t-il à l’aide-de-camp, commande-t-il la citadelle d’Anvers et les troupes ? — Non, répondit l’officier. — Alors retournez vers le prince et dites-lui que j’étais sur le point d’obéir à son invitation, mais que j’ai une horreur instinctive des citadelles où ne commande point son altesse royale. » Des ambassadeurs officieux lui furent encore envoyés, notamment le prince Koslowski, et s’abouchèrent aussi avec M. de Mérode. Le peuple de Bruxelles s’alarma de ces pouparlers ; van de Weyer et M. de Mérode crurent devoir publier une note où ils faisaient connaître les ouvertures qu’on leur avait faites : ils déclaraient en même temps qu’ils croyaient n’avoir aucun droit pour traiter au nom de la Belgique, que ce droit n’appartenait qu’au congrès national qui venait d’être convoqué. Le prince d’Orange, qui espérait encore contre l’espérance, n’en lança pas moins une proclamation où il disait aux Belges : « Je vous reconnais comme nation indépendante. » Il les invitait à nommer des députés. « Je me mets, disait-il, dans les provinces que je gouverne, à la tête d’un mouvement qui vous mène vers un état de choses nouveau et stable, dont la nationalité fera la force. » Le gouvernement provisoire, sans force contre l’opinion publique soulevée, fut contraint de repousser la main qui lui était tendue ; il protesta avec indignation contre la funeste amitié qui pouvait le perdre lui-même. Le prince, suspect à son pays, importun ou odieux aux Belges, se retira en Angleterre pour attendre l’issue de la crise. Deux jours après son départ, le canon tonnait sur les murs de la