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entièrement à nos dépens… Il faut que les hommes politiques sortans sachent, par nos bons procédés et notre conduite modérée, qu’on ne triomphe non-seulement pas de leur chute, mais qu’on est reconnaissant pour leurs bons procédés et qu’on a de la confiance en eux… Il est important pour nous que le parti conservateur ait pu cesser de nous considérer comme un tas de rebelles. L’Angleterre doit être notre principal soutien. » Van de Weyer n’avait pas besoin d’être pressé bien fort pour s’habituer à cette croyance ; il aimait son pays d’un amour un peu jaloux et soupçonneux ; son esprit, nourri de la meilleure littérature française et, on peut le dire, français jusqu’à la moelle, nous cherchait pourtant quelquefois ces querelles sans lesquelles Mme de Sévigné affirme que la grande amitié ne peut vivre. Il préférait nos écrivains à nos ministres, nos philosophes à nos généraux. Lord Palmerston caressait avec soin les inquiétudes et les défiances de son patriotisme. Il était secondé par la société anglaise, qui excelle à faire sien ce qu’elle a intérêt à gagner. Van de Weyer s’en voulait-il à lui-même d’avoir un moment trop demandé à la France ? Qui le sait ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne fut jamais si complètement rassuré du côté des ambitions françaises qu’il pût se livrer sans réserve à son goût naturel pour notre pays. Le caractère du souverain qui régnait sur la France était de nature à inspirer la confiance à ceux qui avaient pour mission de veiller à la sauvegarde du nouveau royaume ; mais la conférence n’avait pas défini d’une manière assez rigoureuse les caractères et les droits de la neutralité belge. Ce qui inquiétait surtout van de Weyer, c’est qu’elle n’avait pas déclaré d’une manière explicite que l’inviolabilité du territoire était la garantie principale de cette neutralité.

Le traité définitif du 19 avril 1839 plaçait la Belgique sous la garantie collective des grandes puissances ; mais la définition de cette garantie était restée assez vague. L’Europe ne s’interdisait point d’une manière absolue la permission d’occuper le territoire belge, ni même le droit de s’ingérer dans ses affaires intérieures. Peu après la signature de ce traité, on put croire à une guerre générale. M. Thiers avait fait mine de vouloir porter la guerre sur le Rhin, si la Russie se montrait à Constantinople ou l’Angleterre à Alexandrie.

Le roi Léopold, entrant dans les vues de lord Palmerston, déclara du haut du trône que la Belgique observerait une neutralité « sincère, loyale et forte. » C’est bien de cette façon que van de Weyer comprit toujours la neutralité belge, il la considérait, si l’on me permet le mot, comme une force positive et non comme une force négative. Il voulait une Belgique armée en tout temps pour défendre son territoire ; il ne lui convenait pas qu’elle fût