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simplement sous la garde des grandes puissances. Il devinait bien que ces puissances en viendraient tôt ou tard aux prises : la neutralité devait faire de la Belgique un asile, non un champ de bataille.

Ces grands problèmes sommeillèrent en quelque sorte tant que dura le règne d’un roi dont la paix était la passion, allié au roi Léopold, trop bon patriote et trop plein des souvenirs de l’empire pour sacrifier le bonheur et la sécurité de la France à de coupables ambitions. Le danger éclata quand la révolution de 1848 remua les passions que Louis-Philippe avait contenues, quelquefois difficilement, pendant dix-huit ans. On put croire un moment que tous les trônes allaient tomber les uns après les autres. Van de Weyer fut réveillé pendant la nuit du 26 février : on vint lui demander de la part de lord Palmerston s’il était vrai que Bruxelles avait proclamé la république et que le roi Léopold fût en fuite. « Dites à lord Palmerston, répondit van de Weyer, que je n’en sais rien, mais que cela n’est pas vrai. » L’événement lui donna raison, mais quels ne durent pas être les sentimens de van de Weyer quand il vit arriver en Angleterre les membres de la famille royale de France ! Son beau-père, M. Bates, donna quelques jours asile à Sheen au duc de Nemours et à sa famille. « Devais-je revoir ainsi, me dit un jour van de Weyer, le prince dont j’avais voulu faire mon roi ? » Claremont, déjà tout plein de deuil, s’ouvrit à des deuils nouveaux. Pendant la période troublée qui suivit ces grandes catastrophes, la Belgique apparut au milieu de l’Europe comme une oasis de paix, de sagesse et de légalité. On s’étonna de voir si ferme un établissement qui avait encore eu si peu de durée. Van de Weyer s’était toujours porté garant de la maturité politique de son pays ; toutes ses prévisions furent justifiées. La Belgique, serrée autour de son roi, assista comme de loin aux déplorables luttes de juin et à l’agonie d’une république qui s’était déchirée de ses propres mains, avant de succomber sous un coup d’état.

L’avènement de l’empire était de nature à inquiéter le roi Léopold plus que n’avait fait celui de la république. Le temps n’avait fait que refroidir en lui les passions de 1815. Il se souvenait des grandes guerres du commencement du siècle, des rois et des empereurs devenus les vassaux d’un nouveau césar. Il ne fut point la dupe de la formule jetée au monde à Bordeaux : « l’empire, c’est la paix. » Le gouvernement d’un Bonaparte ôtait la liberté à la France et lui devait la gloire, les émotions des grands hasards, les conquêtes. Sans doute le nouveau souverain n’avait point l’esprit implacable, le délire et le génie guerrier de son oncle ; mais sa douceur était aussi dangereuse. Il se croyait l’instrument prédestiné de grands desseins ; son œil rêveur errait sur le monde entier. Il cherchait les occasions et guettait la fortune. Il parlait sans cesse