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creusées çà et là. Après la paix, on procéda à l’exhumation de tous ces corps, et l’on concentra en un seul tous ces cimetières dispersés. A l’entrée de ce champ du repos, de chaque côté de la grille en fer, des canons de fonte semblent monter la garde. Le cimetière est bien entretenu : sur toutes les tombes des fleurs, des arbres partout, une variété infinie de monumens. Un vieux gardien vous fait les honneurs de ce musée funèbre. Voici d’abord le buste du général Khroulef, un des héros du bastion Malakof : des traits accentués, une expression énergique, celle qu’il devait avoir en ramenant au combat pour la dernière fois ses soldats ébranlés. Blessé sur la brèche, il ne devait mourir cependant qu’en 1860. Le gardien me montra encore le monument du général de cavalerie Read, tué à la bataille de Traktir, du général Timoféi, mort de ses blessures en juin 1855, du général Adlerberg, qui repose là avec son fils. L’épitaphe est en allemand, comme pour la plupart des officiers originaires des provinces baltiques. De grandes tombes, dont quelques-unes, formées de blocs juxtaposés, semblent des constructions préhistoriques, portent cette inscription : « tombes fraternelles. » Ce sont celles des simples soldats, peuple anonyme de héros trépassés, dont on a ici réuni, par soixante, par cent hommes, les ossemens. Les fleurs sont entretenues avec le même soin sur ces modestes sépultures que sur les plus illustres. La plus remarquable est celle de l’ancien général en chef de l’armée russe, le prince Gortchakof, mort en 1861, cinq ans après la paix. Ce monument a la forme d’une petite chapelle ouverte, tournée vers Sébastopol et vers la mer ; elle est ornée des images du Christ et de saint Michel en style byzantin. « Le défunt, dit l’inscription russe, en exécution de ses dernières volontés, a été enseveli parmi les braves qui n’ont pas permis à l’ennemi de s’avancer sur le sol de la patrie plus loin que la place où sont leurs tombeaux. » Enfin tout en haut du cimetière, dont la pente est assez raide, s’élève l’église en pyramide. On l’aperçoit de plusieurs lieues aux environs. Sur chacune des quatre faces, il y a deux grandes plaques de marbre noir portant le chiffre des pertes que chaque régiment a éprouvées à telle ou telle période du siège. Ces huit plaques constituent le martyrologe de l’armée russe. Une image du Christ en mosaïque orne l’entrée ; sur la face opposée, on voit l’ange debout auprès du tombeau de Jésus, et annonçant aux saintes femmes que « celui qu’elles cherchent n’est point ici. » A l’intérieur, les parois portent également des plaques de marbre sur lesquelles sont gravés ou des noms illustres ou des numéros de corps. A la gauche de l’autel sont les régimens de l’armée de terre, à sa droite les équipages de la flotte. L’une d’elles ne porte que ces trois noms, partout inséparables : Kornilof, Istomine, Nakhimof. L’église, qui n’a guère que cinq ans d’existence, est ornée de belles