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puits : comme certaines sources du pays, il est l’objet d’une vénération traditionnelle aussi bien pour les musulmans que pour les chrétiens. Les Tatars lui attribuent une vertu curative miraculeuse. La communauté est peu considérable ; elle ne se compose que de six personnes et n’a que des revenus médiocres : aussi l’higoumène est-il fort occupé de sa terre et de son bétail. Je lui ai entendu faire une belle philippique contre un des frères servans qui avait égaré une vache sur le Sapoun-Gora ; j’ignore si la fugitive a reparu. Ce qu’il y a d’infiniment curieux à Inkermann, ce sont les églises-cavernes creusées dans le roc vif et qui ne font qu’un avec la montagne. L’une d’elles est dédiée à saint Clément, ce pape de Rome qui fut, dit-on, exilé en Tauride par Trajan et noyé ensuite au pied des rochers de Cherson. Cette église est contemporaine des premières générations chrétiennes de la Crimée, peut-être même du pape dont elle porte le nom. Longtemps on y conserva dans des cercueils certaines reliques mystérieuses, anonymes. Même aux Tatars qui habitaient en haut elles inspiraient une terreur superstitieuse. Un jour, ils pénétrèrent en force dans le sanctuaire, en arrachèrent les reliques et allèrent les enfouir au loin dans la steppe, ayant soin de n’être point suivis par les chrétiens : le lendemain, elles se retrouvèrent à leur place habituelle. Ils recommencèrent cette sacrilège épreuve : une seconde fois elles reparurent à leur place. La troisième fois ils placèrent des gardes autour de la fosse qu’ils avaient creusée pour elles ; au matin, quand les chrétiens ouvrirent les cercueils, elles y étaient encore. Un des barbares, possédé sans doute du diable, prit les saints corps et les jeta par la fenêtre de l’église qui domine de 50 toises le précipice. En rentrant chez lui, il trouva sa famille tuée et sa maison rasée par le feu du ciel. Quant aux reliques, elles seraient toujours là.

L’église-caverne de Saint-Clément a été déblayée plus soigneusement après la guerre de Crimée par l’architecte Stroukof. On enleva les décombres accumulés par le temps sur le sol. Alors une pierre, qui n’avait semblé être d’abord qu’une simple dalle, se trouva, quand on l’eut dégagée, être un autel. Derrière l’autel, sur la paroi de rocher, on distingua les restes d’une peinture qui représentait Jésus-Christ. On mit à jour des cercueils remplis d’ossemens. En pénétrant dans la grotte voisine, qui n’était séparée de celle-ci que par une cloison de roc vif, on vit qu’elle était également une église, plus ancienne même que la précédente. Après la seconde, une troisième où l’on avait dû célébrer le culte au Ier siècle de notre ère. On la dédia à saint Martin, autre pape romain déporté en Crimée par l’empereur grec Constant. Ces trois cryptes ont jour sur la vallée par de petites fenêtres creusées dans le flanc à pic du rocher, et par une porte à laquelle on a adapté un