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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/420

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qui résidait l’unique espoir du protestantisme, se trouva en état de prendre la mer. Le grand-amiral d’Angleterre, Charles lord Howard d’Eflingham, la commandait. On lui donna pour vice-amiral sir Francis Drake, pour contre-amiraux John Hawkins et Martin Forbisher. Cette flotte comptait cent quatre-vingt-dix-sept navires. Le chiffre des bâtimens qui la composaient ferait illusion, il le faut compléter par un autre : l’Angleterre, en réalité, n’opposait que 30,000 tonneaux environ à 60,000, et moins de 16,000 hommes à plus de 30,000[1]. Une défaite navale était à prévoir. Tout eût-il été pour cela perdu ? L’Europe et Philippe II le pensaient, la noblesse anglaise était trop fière pour vouloir l’admettre. Vingt mille hommes se tenaient sur les côtes méridionales d’Angleterre, prêts à s’opposer au débarquement ; 1,000 chevaux et 22,000 fantassins, sous les ordres de Robert Dudley, comte de Leicester, étaient campés à Tilbury, près de l’embouchure de la Tamise. Une autre armée, commandée par Henry Carey (lord Hunsdon), comprenait 34,000 fantassins et 2,000 cavaliers ; ce corps était spécialement destiné à garder la personne de la reine. On se méfiait du roi d’Ecosse, qui avait à venger la mort de sa mère. Le duc de Parme le sollicitait vivement d’opérer une diversion. La politique n’a pas de rancunes ; elle n’a que des intérêts. Il fut facile de persuader à l’Ecosse que la perte de l’Angleterre compromettrait gravement son indépendance. Le roi Jacques céda aux caresses d’Elisabeth ou à la pression de ses conseillers ; il déclara les Espagnols ennemis de son trône et offrit son concoure aux juges de Marie Stuart.


V

Tout était prêt enfin en Espagne et en Italie. Philippe II lança son manifeste, le pape Sixte-Quint excommunia la reine. Il la déclara illégitime et usurpatrice, dégagea ses sujets du serment de fidélité, et promit indulgence plénière à quiconque seconderait le duc de Parme, Le 19 mai 1588, la flotte espagnole sortait du Tage et se dirigeait vers la Corogne. Tel était le lieu choisi pour le rendez-vous général. A la hauteur du cap Finistère, une tempête dispersa l’armée ; un tiers seulement put atteindre le port. Le bruit se répandit alors en Angleterre que la flotte espagnole était en partie détruite et qu’elle ne pourrait rien entreprendre de cette année. Elisabeth crut le moment venu de réduire ses dépenses.

  1. Dans l’appréciation des forces, c’est toujours à cette époque le tonnage et non le nombre des navires qu’il faut considérer. Sur cent quatre-vingt-dix-sept bâtimens, la reine n’en avait fourni que trente-quatre. Cette escadre n’en constituait pas moins, avec ses 12,000 tonneaux et ses 6,900 hommes, plus du tiers de la totalité des forces réunies sous la bannière de lord Howard.