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et Prowse, acceptèrent la mission de conduire à portée de canon de la flotte espagnole les engins incendiaires. Vers deux heures du matin, ils les abandonnèrent au vent et au courant après avoir mis le feu à la mèche. En un instant, les brûlots furent en flammes ; le désordre se mit dans la flotte espagnole. Peu de navires prirent le temps de lever leurs ancres ; la plupart se hâtèrent de couper leurs câbles. La confusion sans doute en ce moment fut grande, mais le dommage fut moins considérable qu’on eût eu sujet de le craindre. La flotte espagnole avait été naturellement dispersée ; elle se rallia le 29 juillet vis-à-vis Gravelines. Ce même jour, le duc de Parme, ayant fait ses dévotions à Notre-Dame de Halle, entrait à Dunkerque. Il fit punir les fournisseurs qui auraient dû en temps opportun approvisionner la flotte ; il n’essaya pas de prendre la mer. L’expédition venait d’avorter.

La flotte espagnole n’avait été ni équipée ni construite pour combattre au milieu des bancs de la côte de Flandre. Les Anglais avaient dans de tels parages tout le bénéfice de leurs faibles tirans d’eau, de leurs coques plus légères. Ce fut sir Francis Drake, suivi de son escadre, qui attaqua le premier ; le gros des Anglais vint ensuite, puis bientôt arrivèrent les Hollandais et les Zélandais. Tout vaisseau désemparé tombait sur les bancs. Ainsi furent capturés ou périrent un grand galion de Biscaye, le Saint-Mathieu, de 800 tonneaux, commandé par don Diego de Pimentelli, le Saint-Philippe, monté par don Francisco de Tolède, un vaisseau de Castille, de 400 tonneaux, et deux vaisseaux vénitiens. Malgré tant de désastres, il restait encore au duc de Médina-Sidonia cent dix ou cent douze navires dont la coque et le gréement avaient, il est vrai, beaucoup souffert. Que pouvait faire Medina-Sidonia sans le duc de Parme ? Opérer sa retraite en tenant autant que possible l’ennemi à distance. Il l’eût fait sans doute, et eût emporté du moins dans ce grand insuccès l’honneur d’avoir courageusement et fidèlement accompli sa tâche, si le ciel ne se fût brusquement tourné contre lui. Le vent s’éleva du nord-ouest avec grains et fortes rafales. Ce contre-temps ne fermait pas seulement aux Espagnols la route vers le détroit de Douvres, il menaçait de les pousser vers les côtes de Zélande. Les Anglais ne songèrent plus qu’à leur propre sûreté, ils levèrent la chasse et firent force de voiles pour s’éloigner de ces dangereux parages. Le vent passa heureusement au sud-ouest ; Médina en profita pour virer de bord et pour faire route au nord-est. Le soir la flotte espagnole tint conseil. Les navires étaient encombrés de blessés et de malades, les provisions commençaient à s’épuiser, on se trouvait à court d’eau, et on avait laissé la majeure partie des ancres sur la rade de Calais. D’un avis unanime, le conseil déclara qu’il fallait rentrer en Espagne, et qu’il y fallait rentrer par le nord de l’Ecosse.