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méridionale d’aborigènes cruels, sauvages, qui égorgent les naufragés qu’une prompte rançon n’arrache pas à leurs mains ? Telles sont les questions auxquelles nous nous sommes proposé de répondre ; nous le ferons à l’aide de documens récemment arrivés en Europe et de notes recueillies pendant le séjour de dix années que nous avons fait aux environs de l’île aujourd’hui en litige.


I

Formose était encore imparfaitement connue dans sa partie sud il y a peu d’années, et les Japonais ont dû se servir évidemment, pour s’y guider, de la carte et des renseignemens rapportés en Chine par un « général » américain du nom de Legendre, qui a visité l’île en 1867 et 1873. Sur nos atlas français, on la trouvera entre 118 et 120 degrés de longitude est, 22 et 25 degrés de latitude nord. Ce territoire fait actuellement partie de la province chinoise du Fou-kien, dont Amoy est le chef-lieu. Un sous-gouverneur dépendant de cette vice-royauté réside à Taïwan-fou, la capitale de Formose. On peut lire à Macao, dans des manuscrits portugais rédigés par d’anciens missionnaires, et conservés intacts aujourd’hui par M. F. da Silva, que l’île de Taïwan fut découverte par des négocians chinois du Fou-kien en 1480 ; si cette date est exacte, elle prouverait que les navigateurs de l’Empire-Céleste ont tardé bien longtemps à s’aventurer loin des côtes. Un fait positif, c’est que les Portugais y firent leur apparition première en 1634 ; émerveillés de la hauteur des montagnes, des volcans qui servaient la nuit de phares à leurs vaisseaux, ces grands explorateurs lui donnèrent le nom de Formose (la Belle). Comme dans tant d’autres riches possessions d’Asie, le Portugal ne put s’y maintenir ; l’Espagne et la Hollande vinrent l’y remplacer. La première, après y avoir fondé un établissement plutôt religieux que commercial, dut l’abandonner. Ce fut un malheur irréparable pour l’île splendide, car depuis lors Formose est restée aux mains des barbares, c’est-à-dire, en premier lieu, dans celles de divers pirates chinois, puis au pouvoir du gouvernement de Pékin, ce qui est à peu près la même chose.

Les mandarins, une fois installés dans Taïwan, ont fait de grands efforts pour en chasser les véritables indigènes ; s’ils n’ont pu les exterminer tous, ils ont réussi du moins à les refouler au sud, sur le versant oriental, et au plus haut des montagnes de l’île. Sauvages aujourd’hui, les aborigènes de Formose seraient sans doute, sous le gouvernement paternel de l’Espagne, ce que sont de nos jours les Tagales des Philippines, civilisés, excellens cultivateurs, musiciens et bons soldats. Leur affinité avec les intelligens