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indistinctement ; il est excellent pour les navires d’un fort tonnage dans les mois où soufflent les vents du nord-est. Au-dessous de la baie de Loong-kiao s’élève une petite ville du même nom, en partie entourée de murailles, et habitée encore aujourd’hui par les descendans de quelques immigrans de Fou-kien. Les aborigènes soumis de la plaine y viennent journellement trafiquer. On y trouve des marchandises étrangères et chinoises, des sabres, des fusils à mèche, et, comme spécimen des produits du pays, des jaquettes et des bourses brodées, de riches ceintures en filigrane d’argent.

Si aux alentours de la ville l’œil découvre des traces de culture des champs de maïs et de patates douces, ces indices d’un travail régulier de la terre ne tardent pas à disparaître à mesure que l’on approche de la région habitée par les tribus indépendantes. Encore quelques chaumières en bambou, cachées comme des nids dans un épais feuillage de bananiers et d’ibiscus aux fleurs écarlates, puis l’on voit se dérouler des prairies hautes et épaisses, agitées comme une mer d’émeraude par les vents du large. Des hauteurs boisées et giboyeuses dominent ces vertes solitudes ; c’est la région préférée des daims, des cerfs et des êtres farouches qui leur font une guerre continuelle. Sur ces monts, couverts de vieilles forêts, la nature tropicale étale toutes ses splendeurs avec une énergie superbe. Le platane, le pin sombre et sévère, le bambou aux feuilles frêles, s’y disputent avec l’aréquier la domination des sommets les plus altiers. Et quels splendides horizons ! A droite, les eaux du détroit de Formose animé par le passage incessant des navires qui vont dans les ports du continent asiatique ou en reviennent ; à gauche, l’Océan-Pacifique, ses calmes et ses fureurs, le tout couronné par un ciel tantôt éclatant de lumière, tantôt chargé de ces rapides nuages d’où s’élancent les tempêtes les plus épouvantables que l’on connaisse.

Le nombre des tribus sauvages que les Japonais sont venus combattre s’élève à dix-huit. Les indigènes du sud de Formose en état de porter les armes ne forment pas un total de 2,500, et ceux des tribus qu’un tableau statistique japonais qualifie de « cruelles, barbares, sauvages, » ou simplement de « méchantes, » dépassent à présent 600. C’est bien peu en somme, et il n’y a qu’un gouvernement aussi débile que celui de la Chine qui soit capable de supporter depuis deux siècles de domination une pareille lèpre.

Les Boutans ont toujours été célèbres entre tous les sauvages par leur courage et leur cruauté. Les marins, sans distinction de nationalité, poussés par un typhon sur le littoral qui appartient à cette tribu, ont été, depuis un temps immémorial, invariablement massacrés ; aussi est-ce contre elle que le Japon a dirigé ses premières attaques. Ce sont les Boutans qui ont aussi en 1867 égorgé