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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/463

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La résidence de Tok-è-Tok, où les Anglais durent s’installer, se composait d’un rez-de-chaussée, élevé au centre de quelques pieds plus haut que le reste de la façade. Les murailles étaient faites avec une sorte de torchis imitant la forme de nos briques ; nulle trace de plancher, mais un sol sec et foulé ; cinq ou six chambres séparées par de légères cloisons en bambous et reliées avec du mortier. Une galerie permanente formant vérandah faisait le tour de l’habitation ; point de plafonds, le dessous des toits formé d’herbes desséchées et de rotins artistement tressés. On ne voyait d’ailleurs, dans ce palais d’un chef commandant à dix-huit tribus, aucun indice de souveraineté. Pour tout ornement, quelques crânes desséchés d’animaux sauvages, remarquables par leur grandeur inusitée. Le dîner qui fut servi aux voyageurs quelques heures après leur arrivée se composa principalement de venaison, de porc frais et d’un riz d’une blancheur à faire aisément oublier l’absence du pain. L’eau à boire était excellente, limpide comme du cristal de roche : aussi fut-elle préférée à une sorte de shamhou, liqueur distillée de la patate douce, qui se trouvait sur la table. À chaque plat que les femmes du chef venaient offrir à leurs hôtes, on les entendait s’excuser sur l’insuffisance de leur préparation et sur la pauvreté du service, Lorsque les curieux des huttes voisines, avides de voir de près des Européens, eurent envahi la salle à manger de manière à devenir indiscrets, un seul geste d’une des femmes suffit pour les faire déguerpir. En fait, si nos voyageurs éprouvèrent quelque gêne, ce fut par l’excès des attentions de toute sorte dont ils furent l’objet. Cette exquise politesse, ce respect de l’hôte étranger, sont les mêmes chez les indigènes des îles Philippines, et pour moi, qui me suis trouvé souvent contraint d’accepter l’hospitalité des Tagales, j’y vois une preuve de plus en faveur de l’affinité des deux familles insulaires.

Le lendemain, au lever de l’aurore, les Anglais étaient encore profondément endormis lorsqu’ils furent éveillés eh sursaut par l’entrée bruyante dans leur chambre d’un grand vieillard aux cheveux blancs, aux formes athlétiques, escorté de quelques sauvages armés de lances et d’épées. C’était Tok-è-Tok. Devinant déjà ce qui motivait la présence dans sa demeure de tant d’étrangers, il les invita à venir s’asseoir en plein air sur des bancs. Un conseil y fut tenu ; au milieu des pourparlers, une femme âgée survint en psalmodiant une sorte d’invocation aux génies de la concorde, et offrit à tous les assistans une coupe de samshou. Il fut convenu que les naufragés seraient autorisés à partir dès que M. Pickering aurait envoyé de Takow une somme représentant la dépense qui avait été faite pour leur entretien par la tribu. On ne pouvait espérer des prétentions plus modestes ; aussi furent-elles acceptées sans débats. Lorsque, vers les neuf heures du matin, M. Pickering et ses