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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/468

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seule équipée guerrière parfois suffisait. S’il survenait des revers, et si le Japon se trouvait humilié, la déchéance du mikado pourrait bien n’en être pas la conséquence absolue, du moins il serait permis aux chefs des ken de faire à la suite du désastre un pas en arrière, et d’espérer un retour prochain vers cette féodalité ardemment regrettée.

Dès que la déclaration d’une descente à main armée sur le littoral de Formose fut officielle, les commandans des navires de guerre japonais se mirent, avec l’ardeur qui les caractérise, à embarquer des troupes, des coulies chinois engagés comme portefaix, des projectiles d’imitation européenne, enfin un énorme matériel de campement. Des bateaux à vapeur furent achetés, d’autres affrétés, et plusieurs personnages étrangers, artilleurs, marins, pilotes, mécaniciens, reçurent l’invitation de suivre à divers titres le corps expéditionnaire. Pendant cette période de préparatifs belliqueux, les représentans des puissances étrangères à Yeddo, les uns avec empressement, d’autres avec une sage lenteur, défendirent à leurs nationaux soit de louer des transports au gouvernement japonais, soit de prêter une assistance personnelle aux projets en formation. Ce qui est surprenant, après l’ingérence bien connue du général Legendre dans toute cette affaire, c’est que de Pékin, sa résidence, le ministre des États-Unis adressa la même prohibition aux consuls d’Amoy, de Shanghaï et de Hong-kong, avec injonction sévère de l’étendre aux citoyens américains placés sous la protection du pavillon étoile. Un navire fut même envoyé par l’énergique ministre à Formose, afin d’offrir un passage gratuit à ceux de ses administrés qui voudraient, dans la crainte d’être compromis, fuir le lieu de l’action. Inutile de dire que le bâtiment revint à vide. Pour toutes les personnes au courant de l’esprit de spéculation qui domine chez l’étranger dans l’extrême Orient, ces défenses de traiter avec une nation amie ou ennemie paraîtront en vérité bien naïves. La cour de Pékin, pour la forme, a pu remercier le ministre américain de ses bonnes dispositions, mais ses ministres ont le sens politique trop fin pour ne pas les avoir appréciées à leur juste valeur. Elle ne peut non plus avoir oublié qu’en dépit d’une défense formelle du gouvernement anglais jamais les marchands de Hong-kong ne vendirent plus d’armes et de munitions de guerre aux Chinois qu’en 1860, époque à laquelle l’Angleterre était en lutte ouverte avec la Chine. Le gouverneur de la colonie anglaise, avec raison indigné de ces tristes marchés, défendit bien l’entrée de Hong-kong aux canons provenant directement des ports anglais ; mais les négocians firent alors venir des armes par navires espagnols, en transit par Marseille, et de cette façon la prohibition fut éludée.

C’est au commencement du mois de mai de cette année que