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composent tout leur attirail. Procédés primitifs s’il en fut ! C’est de là pourtant que vont sortir les colliers, les bracelets d’or et d’argent, les ceintures incrustées de turquoises, toute cette bijouterie massive qui fait la joie des harems de l’Orient.

La mosquée fait face au bazar, qu’elle domine de toute sa hauteur. J’y jette un coup d’œil du dehors. Rien qui semble digne d’arrêter l’attention. Une dizaine de vagabonds y dorment du sommeil du juste, pieusement vautrés sur les dalles. Les deux minarets déjà mentionnés se dressent de chaque côté de la porte, comme deux sentinelles géantes. Un gardien sommeille à l’entrée, étendu sur les marches. Enjambant par-dessus sa tête, je grimpe au sommet. D’en haut le panorama est superbe et fait pour tenter le pinceau d’un artiste. A mes pieds, le bazar, avec son entassement de boutiques microscopiques, semble une fourmilière où chaque insecte est en mouvement. Au deuxième plan, l’ancienne ville arménienne offre à l’œil un amas de maisons éventrées qu’enserre de ses ruines un rempart à demi détruit. Dans l’éloignement, le Dagestan étale ses flancs décharnés qu’envahissent peu à peu les brouillards de la vallée, tandis qu’un dernier rayon de soleil se joue encore sur sa tête neigeuse.

Cependant la nuit jetait insensiblement sur l’horizon son voile de brume. Les boutiques du bazar se fermaient une à une, et le vide se faisait dans cette ruche tout à l’heure si animée et si bruyante. Je repris le chemin de l’hôtel, un peu inquiet de la façon dont j’allais parcourir les 300 verstes qui me séparaient encore de la mer Caspienne. Le hasard s’était chargé d’y pourvoir. Deux voyageurs arrivés dans l’après-midi, un pharmacien arménien et un négociant russe, partaient le lendemain pour Bakou. Instruits de mon embarras par l’aubergiste, ils se mettaient d’eux-mêmes à ma disposition. J’acceptai avec enthousiasme, et nous entrâmes immédiatement en relations. Tout d’abord ce ne fut pas sans peine ; mes interlocuteurs n’entendaient pas le français. Quelques mots de latin composaient tout le bagage littéraire de l’Arménien ; le Russe n’était guère plus ferré sur les langues européennes. Après quelques essais infructueux pour entamer la conversation, il prit le parti de remplacer le dialogue par une poignée de main. Son compagnon en fit autant. Je leur donnai vigoureusement la réplique, et, la pantomime aidant, nous nous entendîmes à merveille.

Le lendemain matin, nous nous mettions en route. En sortant d’Elisabethpol, j’allais retrouver le même paysage nu et monotone. Les plaines succèdent aux plaines, aux terriers des Tatars les huttes de roseaux des Arméniens. La nuit venue, nous prenons quelques heures de repos, empilés dans une mauvaise station, côte