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« Irmgard regardait fixement devant elle.

« — Mais toi, continua Ingo, souffre que je te dise le secret de mon âme. — Et il lui raconta ce que nous savons du charme fatal attaché aux têtes du dragon romain qu’il portait sur lui. — Depuis que je t’aime, ajouta-t-il, j’ai changé d’avis ; il me semble qu’il vaudrait mieux s’asseoir à tes côtés et chevaucher paisiblement dans la campagne que de chercher en compagnie des vautours le tumulte des combats. Mes idées, ont donc pris un tout autre tour, et le cœur me défaut à la pensée que je ne suis qu’un vagabond. Auparavant la destinée ne m’effrayait guère : je me fiais à mon bras et au dieu favorable qui peut-être un jour ramènera le banni dans sa vieille patrie ; mais maintenant je vois que je m’en vais comme ce surgeon de sapin que le torrent emporte. — Il montrait, en parlant ainsi, un jeune sapin que les eaux avaient déraciné et qui, avec sa mousse et sa motte de terre, flottait encore droit sur les tourbillons du torrent. — La motte se rapetisse, dit Ingo d’un ton sombre, la terre se détache par morceaux, il va disparaître entre les pierres. — Irmgard se leva et suivit d’un œil attentif la course du surgeon sauvage qui descendait la pente rapide en tourbillonnant, et qui ne tarda pas à disparaître presque entièrement dans la buée du torrent. — Il s’arrête, s’écria-t-elle tout à coup d’une voix joyeuse, et elle bondit jusqu’à l’endroit où le jeune arbre s’était accroché à un petit cap qui faisait saillie. — Vois-tu, dit-elle à Ingo, il va verdir sur notre rive, il se pourrait bien qu’il y prît racine.

« — Dis-moi, reprit Ingo ravi, en serais-tu bien aise ?

« Irmgard ne répondit pas.

« À ce moment, le soleil perça son enveloppe de nuages. Ses rayons tombaient d’aplomb sur la belle jeune fille, dont les cheveux brillaient comme de l’or sur sa tête et ses épaules. Les yeux baissés, les joues rosées, elle restait debout devant Ingo. Celui-ci, le cœur gonflé de joie et d’amour, s’approcha d’elle avec timidité. Irmgard restait immobile, comme fixée au sol. Elle fit un faible geste de défense et murmura d’un ton suppliant : — Le doux soleil nous voit ! — Mais lui l’embrassa tendrement et dit au soleil, qui souriait : — Salut, doux seigneur du jour, sois-nous gracieux et garde fidèlement ce que tu vois ! — Il l’embrassa de nouveau et sentit ses lèvres contre les siennes ; mais, comme il allait l’enlacer de ses bras, Irmgard leva la main, le regardant avec des yeux pleins de tendresse, les joues toutes pâles, et elle lui montra le haut des montagnes. Ingo obéit et remonta à pas précipités. Quand il se retourna pour voir où elle était allée, il la découvrit, toute baignée de lumière, agenouillée devant le petit arbre et levant au ciel des mains suppliantes. »

Sa situation dans la principauté d’Answald devint bientôt