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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/551

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régulière. Le conseil des anciens de la peuplade convoqué chez le seigneur Answald et présidé par lui conféra à Ingo le droit de séjour, et il put se choisir un « dévoué. » Son choix tomba sur ce jeune Wolf qu’il avait rencontré sur la frontière et qui s’attacha à son nouveau maître avec cette complète abnégation qui faisait la valeur du lien féodal. Cependant il avait des ennemis. Dame Gundrun ne l’aimait pas et soupçonnait qu’il s’était passé quelque chose entre lui et sa fille. Théodulf, l’amant agréé par la mère, mais non par la fille, était jaloux, provocateur, sournois. Sintram, son oncle et son protecteur, avait été trouver le roi Visino dans son Kœnigsburg (château royal), et bientôt Volkmar, le chanteur, était revenu chez Answald avec un message du roi qui invitait Ingo à venir le voir.

Le roi Visino était un grossier compagnon, ambitieux, rusé, cupide et ivrogne. Retranché dans son burg, il faisait de la centralisation à sa manière, entretenait dans ce dessein une troupe de cavaliers qui ressemblaient fort à des bandits, et se croyait un profond politique parce qu’il recourait tout aussi bien, pour parvenir à ses fins, au mensonge et à la trahison qu’aux lances de ses soudards. Il avait épousé une superbe princesse burgunde, du nom de Gisèle, qui lui était de beaucoup supérieure par ses goûts déjà civilisés, qui n’aimait guère son rustre d’époux, et qui s’ennuyait. Les Burgundes en effet, beaucoup plus rapprochés de la civilisation romaine, en avaient déjà ressenti l’influence. Gisèle adolescente avait connu Ingo, très jeune encore, à la cour de son père et lui avait gardé un tendre souvenir. Quand elle apprit qu’il se trouvait chez Answald, elle brûla du désir de le revoir et appuya son mari dans son projet de le faire venir au Kœnigsburg. Celui-ci avait un autre martel en tête. Il n’aimait pas à savoir ce jeune guerrier, entreprenant et déjà célèbre, au milieu de vassaux mal soumis ; mais Ingo, que tant de liens charmans retenaient chez Answald et qui se défiait des intentions du roi, ne se pressait pas de venir. Lors d’une fête des moissons célébrée chez son hôte, un de ces jongleurs qui erraient de pays en pays en émerveillant les naïfs habitans des contrées germaines par leurs tours de passe-passe, leurs marionnettes grotesques et leurs singes déguisés en légionnaires romains, mais qui servaient aussi d’espions à la politique romaine, avait reconnu Ingo et semé sur sa route le bruit que sa tête était mise à prix par ordre du césar. La cupidité bien connue du roi Visino ne permettait pas de se fier à ses avances hospitalières. Ingo toutefois se déclara prêt à se rendre à sa cour dès qu’il pourrait le faire d’une manière conforme à son rang.

Bientôt la situation se compliqua. La petite troupe des Vandales demeurés fidèles à Ingo, ceux du moins qui avaient pu s’échapper