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espéré que je te verrais encore une fois, et chaque jour j’allais et venais sur cette mousse comme si un enchantement m’eût retenu près de cet arbre. — Walburge lui touchait doucement les cheveux et les joues. — Que l’on visage est pâle ! lui dit-elle, que tes cheveux sont emmêlés et ton corps amaigri, pauvre ombre qui fuis le soleil ! La forêt t’en veut, tu as la mine désespérée et le regard farouche. — Il fait dur dans la forêt, et la solitude est terrible au proscrit, répondit Ingram, les racines lui blessent le pied, les branches lui arrachent les cheveux, et les corbeaux dans les hauteurs de l’air se demandent en croassant s’il ne leur servira pas bientôt de régal. Je ne sais pourtant pas si je dois beaucoup me réjouir de te voir ; tu viens d’auprès des prêtres et tu vas retourner chez eux pour leur annoncer l’agréable nouvelle que tu m’as trouvé misérable et désolé. — J’étais chez les prêtres, et je suis venue, répondit gravement Walburge, j’ai quitté la maison des chrétiens pour venir prendre soin, de toi, autant que je le puis ; j’ai quitté la société des hommes et j’ai choisi la forêt sauvage, si tu veux me garder près de toi.

« — Walburge ! — s’écria le proscrit, qui se jeta de nouveau contre terre. Puis il l’entoura de ses bras, appuya sa tête contre sa bien-aimée et sanglota comme un enfant.

« Walburge lui prit la tête, déposa un baiser sur ses cheveux hérissés et lui dit d’un ton maternel : — Calme-toi, sauvage ; si ton sort est rude, je veux t’aider à le supporter. Moi aussi, j’ai grandi près de la sauvagerie, non loin des brigands de la frontière. Le courage patient est d’un grand secours aux opprimés. Assieds-toi devant moi, Ingram, et parlons raisonnablement comme jadis quand nous causions près du foyer de mon père. — Ingram obéit docilement, mais retint sa main. — Ne me presse pas ainsi la main, continua Walburge, j’ai à te confier quelque chose de pénible, une chose qui ne sort pas facilement de la bouche d’une jeune fille. — Mais Ingram l’interrompit. — Avant tout, écoute-moi, dit-il, — Il prit un caillou dans la mousse et le jeta derrière lui. — Voilà ce que je fais de ce qui nous séparait. Pardonne, Walburge, ce qui t’a choquée en moi, ne pense plus à ton esclavage chez les Sorbes, ni à ta délivrance par la main des étrangers, et, je t’en supplie, ne m’afflige pas de paroles sévères, car je suis si heureux à cette heure en te voyant devant moi, fidèle à notre amour, que je veux à peine songer à mon bannissement. Tu es plus chère à mon cœur que je ne saurais te le dire, et aujourd’hui que tu es venue me trouver, je ne puis que penser à toi et me réjouir de ta présence.

« Le voile qui cachait à moitié le visage de Walburge s’agita. — Regarde avant tout, Ingram, le visage que tu as aimé ; prudent est l’amoureux qui a d’abord bien considéré ce qu’il veut obtenir. — Elle rejeta le voile en arrière, une ligne rouge se dessinait sur sa