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nombre des électeurs à corrompre est si grand, il est bien rare qu’il n’en paraisse quelque chose. En tout cas, de tels abus, bien regrettables pour la morale publique, ne pourront jamais être dans notre pays assez nombreux pour exercer sur la situation politique une influence appréciable. Ce serait une honte, ce ne sera point un danger. Ce qui aurait plus de gravité dans le système du vote par arrondissement, c’est la nécessité pour la plupart des candidats de faire en tout ou en partie les frais de leur élection. En réalité, même avec le scrutin de liste, cet honneur coûte presque toujours une somme assez ronde au candidat, dans les élections rurales surtout, où les frais de publicité sont considérables. Dans une élection d’arrondissement, la lutte est circonscrite entre deux candidats, et elle prend un caractère personnel qui demande à chacun des efforts et des sacrifices dont les comités dispensent plus ou moins les candidats compris dans leur liste. Nous en convenons encore. Seulement, quand le besoin s’en fera sentir, nous ne croyons pas qu’il y ait de parti assez dénué de ressources de ce genre pour ne pas venir en aide à la modeste condition du candidat dont il attend de sérieux services. Que ce mode d’élection mette un frein à des ambitions ridicules, à des prétentions peu justifiées, n’est-ce pas mieux pour le pays et même pour le parti qu’on n’a pas le talent de servir ? Quant au mérite réel, au dévoûment sérieux, attestés par des services rendus et une certaine notoriété publique, la question d’argent ne sera jamais un obstacle pour les candidats qui auront à faire valoir de pareils titres. Il faudrait alors désespérer de l’avenir d’un parti qui pousserait l’indifférence ou l’égoïsme jusqu’à compter ainsi avec les hommes qui le servent et l’honorent.

Il n’est pas impossible, vu les difficultés de la question et la diversité des opinions, que ni l’une ni l’autre des deux solutions ne rencontre point une majorité dans l’assemblée. Qu’y aurait-il à faire alors ? Conserver la loi qui régit actuellement la matière ? Il n’y faut pas songer. Outre qu’elle n’offre aux conservateurs aucune des garanties qu’ils réclament, elle a, aux yeux de beaucoup d’entre eux, le tort de prescrire le scrutin de liste, dont ils ne veulent point entendre parler. On ne pourrait donc sortir d’embarras que par une transaction. Laquelle ? Il y en a deux qui peuvent rallier une majorité : l’une conservant le scrutin de liste pour tous les arrondissemens qui ont plusieurs députés à élire ; l’autre, qui ne maintient le fractionnement des circonscriptions électorales que pour les départemens où le nombre de députés dépasserait tel ou tel chiffre. Il est évident que chaque parti chercherait à faire prévaloir la transaction qui se rapprocherait le plus de sa solution primitive. Laquelle vaut le mieux ? Pour nous évidemment c’est celle qui s’éloigne le moins