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de l’antiquité sur leurs jambes antiques, il serait bon de laisser les cathédrales, sur les murailles et les arcs-boutans du moyen âge. Si les correcteurs des monumens historiques ne veulent pas s’en fier à leurs propres inspirations, ils n’ont d’autre ressource que de copier d’autres édifices d’un style plus ou moins analogue, que d’emprunter pour leurs restaurations des parties toutes faites à d’autres monumens d’une époque et d’une contrée plus ou moins voisines. On prend par exemple des contre-forts de Reims pour une abside de Paris, et des arcs-boutans de Saint-Louis pour contre-bouter des constructions de Philippe-Auguste. Avec une telle méthode, en appliquant à tous les édifices en reconstruction le meilleur modèle de chaque époque, on amènerait promptement un regrettable appauvrissement de nos richesses architecturales, tout en ne nous laissant que des édifices faits de pièces et de morceaux et plus ou moins disparates. Ce système rappelle encore singulièrement les procédés des restaurateurs de la statuaire antique, mettant à un torse d’Hercule ou de Mars une tête de Mercure ou d’Adonis. L’ensemble peut être fort supportable, agréable même à l’œil ; il n’en répugne pas moins au goût et à la science, il n’en donne pas moins des monumens équivoques ou menteurs.

Quand donc les grandes œuvres de l’architecture inspireront-elles le même respect que celles de la peinture ou de la sculpture ? Personne ne s’imaginerait aujourd’hui de corriger en la restaurant une fresque du moyen âge ou une toile de la renaissance. Chez les maîtres du XIVe et du XVe siècle, les fautes de perspective, d’anatomie et de dessin sont cependant assez fréquentes et assez apparentes : on ne songe point pour cela à repeindre une composition des Memmi ou des Orcagna. On comprend que dans ces anciennes écoles les défauts sont presque aussi intéressans et aussi respectables que les qualités, et que qualités et défauts se tiennent ; on sent que dans ces œuvres primitives, dont la gaucherie même est si souvent pleine de charme, la valeur historique prime encore la valeur esthétique. Comment les édifices contemporains des plus vieilles de ces peintures gothiques, des édifices qui le plus souvent leur sont infiniment supérieurs par la science et la perfection de l’art, reçoivent-ils de notre époque un traitement si différent ? Comment, lorsqu’on tient si justement à n’avoir que des tableaux purs de toute retouche, accepte-t-on si facilement des altérations capricieuses dans les œuvres d’art qui de toutes sont les plus aisées à restaurer, à restituer intégralement ?

Chose remarquable en effet, l’art avec lequel nous prenons le plus de liberté dans nos restaurations est celui qui de sa nature a le plus de ressources pour réparer les ravages des hommes ou du temps, c’est le seul qui ait les moyens de se recompléter, de se