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ou d’arrangement ; quelquefois on va jusqu’à couvrir le plagiat sous un titre, des noms et des formes d’emprunt. En somme, les productions originales font presque absolument défaut. Il est évident que la mission des Américains n’est pas encore d’écrire des pièces de théâtre ; ils doivent se borner à travailler. A eux de féconder le sol, d’y ouvrir des routes, des canaux, des mines, de bâtir partout des usines, de jeter des villes au milieu du désert, d’abréger, de soulager le travail manuel par les inventions mécaniques. C’est là, semble-t-il, leur principal rôle pour le moment, et il peut leur suffire.

Il est à New-York bien d’autres lieux d’amusement. Le cirque du fameux Barnum a fait récemment fureur. Sur un espace couvert, immense comme le Colysée de Rome, Barnum a exhibé, dans une procession triomphale et sous le titre alléchant de « marche des nations, » les cours du monde entier, sans oublier la cour papale et celles de Perse et de Chine. Sultans et sultanes, rois et reines, empereurs et impératrices, chambellans, cardinaux, maréchaux, khans, beys, mandarins, s’avançaient solennellement à pied, à cheval, sous le dais, en grand costume, musique en tête, et par groupes distincts. Celui qui faisait Pie IX, coiffé de la tiare et des habits pontificaux, était sérieux comme un pape sur la sedes gestatoria, portée par quatre princes de l’église. La reine Victoria, le khédive, et, par un singulier anachronisme, l’empereur Napoléon Ier avec « le petit chapeau et la redingote grise, » attiraient surtout l’attention. Non content de cette exhibition sans pareille, Barnum faisait danser des éléphans, courir des autruches, et finissait son spectacle par une foire à l’anglaise au milieu d’une armée de comparses, de jeux de toute sorte, accompagnés d’un bruit assourdissant. Des milliers de spectateurs venaient deux fois par jour au « cirque romain, » et le showman ou montreur de bêtes, comme Barnum aime à s’appeler, après avoir fait des avances considérables, réalisait d’énormes bénéfices. Il ne partit pour l’intérieur que quand la curiosité publique fut saturée. Cet étrange imprésario, doublé d’un habile mystificateur, dépense, dit-on, par an jusqu’à 2 millions de francs pour ses réclames. Bien qu’ayant dépassé la soixantaine, il s’est remarié avec une jeune fille en septembre dernier, a fait annoncer la chose à son de trompe, et n’a pas manqué de prendre à l’hôtel Windsor la chambre des nouveaux mariés.

Dans une société en apparence aussi religieuse que la société américaine, il est de règle que tous les théâtres soient strictement fermés le dimanche. Cependant il en est qui arrivent à rouvrir ce jour-là, au moyen d’un compromis subtil qui n’étonnera point ceux qui sont au courant des sous-entendus auxquels se complaît le caractère anglo-saxon. Il faut avant tout sauver la forme. On annonce