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récemment, et le tableau déposé négligemment contre une des parois de l’abside. Il devient sans emploi raisonnable dans un monument auquel l’architecte qui le restaure veut rendre sans concession l’unité de style et d’ornementation. On peut prévoir qu’il restera longtemps dans la place indigne qu’on lui a prêtée. Pourquoi donc n’entrerait-il pas au Louvre ? Cela serait raisonnable. Voilà un tableau de premier ordre exposé à toute sorte de hasards auxquels il importe de le soustraire, et voilà une richesse à la portée de la main. Est-ce que la loi de prescription est de sa nature tellement infaillible qu’on doive, pour y obéir, préférer le dommage qu’elle cause aux avantages qu’on pourrait espérer en la violant ? D’ailleurs l’exemple a été donné récemment. Les tableaux qu’on appelait les Mais de Notre-Dame ont été, dans un cas absolument semblable, transportés au Louvre ; il est vrai qu’on se montra peu reconnaissant du don. Où sont ces 40 tableaux, qui dans leur ensemble représentent toute une face de l’art français au XVIIe siècle ? Ces compositions de Philippe de Champaigne, d’Audran, de Sébastien Leclerc, de Parrocel, n’ont-elles échappé à l’humidité des murs d’une église que pour aller s’écailler et périr peu à peu dans les greniers brûlans qui les cachent ? La place manque, dit-on. A cela il est facile de répondre : qu’on en fasse. A quoi donc sert cette immense salle des États, dont la suppression était déjà décidée il y a cinq ans ? Il serait facile d’en faire un nouveau grand salon qui rendrait à l’école du passé les mêmes services que la salle des Sept-Cheminées rend à David et à ses contemporains. On y mettrait en meilleur jour ces magnifiques batailles d’Alexandre peintes par Lebrun, — en Italie, elles seraient célèbres, — qui surpassent certainement les décorations les plus vantées de l’école bolonaise. En tout cas, et c’est un vœu que l’on entend souvent exprimer, on pourrait réunir ces toiles respectables dans la salle où s’étalent tant de Boucher, d’Oudry, de Casanova, maîtres agréables, si l’on veut, mais trop vantés, dont le plus sûr mérite est de fournir au commerce des élémens commodes, et le véritable tort de mettre sous les yeux de tous des exemples malsains : toutes ensemble, elles formeraient un digne prolongement aux compositions héroïques et pieuses du Poussin et de Lesueur ; elles ajouteraient à l’importance et à l’autorité de l’école française, importance et autorité qu’il nous est bien permis de chercher à augmenter, et il resterait encore à côté d’elles assez d’espace pour y installer une série facile à rassembler de ces grands portraitistes, Largillière, Rigaud, artistes supérieurs, narrateurs précis et véridiques, qui représentent, eux aussi, à leur façon et avec une aisance incomparable, deux des plus franches qualités de nos meilleurs écrivains, la clarté facile et la raison toujours maîtresse.