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publique. Pour le moment, les plus fanatiques partisans du suffrage universel ne pourraient le soutenir devant le spectacle des élections faites depuis vingt-cinq ans. En un mot, si actuellement le droit est l’égalité, il faut bien convenir que le fait est l’inégalité, c’est-à-dire la supériorité des uns, l’infériorité des autres. Or c’est précisément ce fait qui devient l’origine et le principe nécessaire d’une seconde chambre. Qui dit inégalité dit aristocratie, du moment que cette inégalité, résultant non d’une simple cause naturelle, mais de telle ou telle condition sociale, peut être circonscrite dans des classes ou dans des catégories d’une certaine étendue.

Ici nous ne saurions nous expliquer trop clairement. Sans aucun doute, s’il ne s’agissait que des inégalités de nature, il serait impossible d’y trouver les élémens d’une constitution de la seconde chambre, puisque ces inégalités échapperaient à tout classement et à toute circonscription ; il en est tout autrement dans notre pays : à part les inégalités naturelles qui ont un caractère purement individuel, il y a les inégalités sociales, qui ont au contraire un caractère général, et par là permettent de fonder l’institution d’une seconde chambre sur quelque chose de fixe et de permanent. Qu’on trouve choquante l’égalité de droit qui confond dans une même urne électorale les bulletins de l’ignorant et du savant, du sage et du fou, de l’idiot et de l’homme intelligent, nous le concevons, en faisant toutefois observer que cet inconvénient se retrouve dans les élections de toute espèce, aussi bien dans les élections du cens que dans celles du suffrage universel. C’est une de ces absurdités qu’aucune loi ne peut supprimer, parce qu’elles sont au fond même des choses et non dans la pensée du législateur ; mais qu’une sensible inégalité de lumières se rencontre même dans des classes et des catégories, c’est là un fait général et constant, avec lequel doit compter tout législateur qui a le sens politique. Voilà donc la racine même de l’institution qu’il s’agit de créer. Quand on nous dit que l’aristocratie est morte avec la noblesse de l’ancienne France, nous répondons que, si la noblesse meurt dans un pays, l’aristocratie est immortelle. Toute la question est de la retrouver sous ses formes nouvelles et de la résumer dans un système plus ou moins étendu de classes ou de catégories.

Insistons sur ce point, qui est le véritable nœud de la question. Il est incontestable que l’ordre de la noblesse a disparu avec ses privilèges, comme l’ordre du clergé, devant l’égalité civile proclamée par notre révolution de 89, que ce que la vanité des familles voudrait nous faire accepter pour une nouvelle noblesse n’en a pas même l’apparence, que la particule, dont on se décore sans honneur et parfois sans pudeur, n’a aucune signification politique, qu’enfin ce noble